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exercer ses ravages dans la famille d’un ouvrier, l’homme momentanément éloigné de l’atelier et du contact de ses camarades recevra du secrétariat des subsistances et de l’argent.

C’est ainsi que l’unionisme anglais trouvait peu à peu sa voie et qu’il démontrait au monde des travailleurs les avantages incalculables de la coopération. Il y a quelques années, on n’évaluait qu’à 1,200,000 le chiffre de ses affiliés ; mais les rangs de ces derniers se grossissaient bientôt de 150,000 mineurs et de 250,000 marins et chauffeurs. L’absorption des journaliers dans le corps des artisans de métier appelés en Angleterre skilled labourers, par opposition aux premiers, à qui la qualification d’unskilled est appliquée, devait avoir des conséquences dont la gravité apparaîtra au cours de ce récit. Quant à l’avènement des trades-unions à la vie publique, il avait été, il faut bien le dire, accueilli avec plus de défiance que de sympathie. Au début, le citoyen enrôlé était considéré comme un être dangereux, presque un révolutionnaire. La presse dirigeait contre ces masses grandissantes de continuelles attaques. Du haut de la chaire, les ministres du culte les jugeaient et les condamnaient. Loin de se prêter au succès de leur entreprise, les patrons s’attachaient à en entraver, par tous les moyens possibles, le développement et l’essor. On allait jusqu’à prononcer les mots d’hérésie et de déloyauté envers les classes dirigeantes et la couronne. On ne croirait pas, si tant de preuves n’étaient pas là pour l’attester, que les unions ont été longtemps dans l’impossibilité de se procurer un local convenable pour y tenir leurs séances. Les écoles, les halls publics qu’on rencontre à chaque pas dans les villes anglaises, fermaient impitoyablement leurs portes devant elles. Les journaux refusaient de s’en occuper ; elles n’existaient pas, on n’en voulait rien connaître : elles se sentaient enveloppées de toutes parts d’un vaste réseau d’hostilité. Obligés de demander asile aux public houses, de discuter les questions sociales dans une arrière-boutique, les hommes qui avaient pris la tête du mouvement ne se laissaient pas abattre : « Comment se fait-il, s’écriait le président du congrès de 1875, que nous ne jouissions même pas des garanties que la législation accorde aux plus vils criminels ? Qui donc oserait douter de l’honneur des travailleurs de ce pays ? Qui pourrait mettre en cause leur moralité ? Je vous le dis, mes frères, continuait-il en s’adressant à ses camarades, si, pour obtenir le redressement de nos griefs, il fallait user de violence et porter atteinte à la propriété des patrons, ce jour-là, sachez-le bien, je cesserais d’être unioniste ! » Les temps sont bien changés, et nous allons mesurer l’étendue du chemin parcouru depuis. On a mis à la disposition du congrès de 1890 un excellent local, peut-être pas