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REVUE. — CHRONIQUE.

sans arrière-pensée, loyalement, dans la réalité des choses, avec les intérêts qu’ils représentent. Nul certes n’a tracé avec plus d’élévation, de virile sincérité et de généreuse éloquence le rôle des bons Français d’aujourd’hui que M. le cardinal Lavigerie dans un banquet où il vient de réunir autour de lui à Alger les chefs de la marine, les chefs de l’armée, les chefs de l’administration et de la justice. Est-ce de la politique? Est-ce l’illusion d’une âme religieuse remplie de l’amour de la France ? L’intrépide prélat a parlé, en tout cas, le langage de la raison, de la droiture, du patriotisme, de la prévoyance pour des intérêts que les conservateurs ne peuvent mieux défendre qu’en prenant place sans subterfuge dans les institutions, et que les républicains éclairés ne peuvent méconnaître sans compromettre la république.

Que les partis extrêmes, que les radicaux qui redoutent tout apaisement et les pointus du camp conservateur qui ne rêvent que la guerre à la république, s’efforcent de prolonger le malentendu, de resserrer ce cercle d’irréconciliabilité où l’on se débat, c’est possible : c’est l’histoire de la dernière année. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce ne sont pas les affaires du pays qui se font ainsi; c’est qu’on ne sortira de là que par un de ces concordats entre modérés toujours faits pour tenter les chefs intelligens des partis, par un traité de paix intérieure qui seul peut assurer à la France, avec un régime plus fixe, un accroissement d’autorité morale dans le monde.

Quelle que soit l’idée générale qu’on pourrait se faire de l’état du monde, de ses conditions précaires, il y a un fait certain, de plus en plus sensible, c’est que les affaires de l’Europe, tout en restant ce qu’elles sont, ne semblent pas menacées de complications prochaines. Rien assurément n’est changé. Les grandes puissances gardent leur attitude, les gouvernemens suivent leur politique : les positions sont prises ! Peut-être parmi ceux qui se complaisent aux pronostics émouvans persiste-t-on à se dire que la crise décisive éclatera un jour ou l’autre : on ne la recherche pas, on ne la désire pas, on n’est pas pressé de voir unir la trêve européenne.

C’est évident, et la paix reste dans les faits, sans doute aussi dans les intentions des cabinets, même quand les journaux passent leur temps à recueillir et à grossir des bruits venus on ne sait d’où, à commenter les plus petits incidens et les voyages princiers. Au fond, que le roi Léopold de Belgique aille à Berlin rendre à l’empereur Guillaume la visite qu’il a reçue de celui-ci à Ostende, que M. de Caprivi aille à Milan converser avec M. Crispi et recevoir le collier de l’Annonciade du roi Humbert, ce n’est pas une grande affaire; c’est un simple épilogue des voyages et des entrevues d’été, et la visite de M. de Caprivi à Milan, à Monza, sera tout au plus, si l’on veut, un coup d’épaule, un acte de courtoisie secourable pour M. Crispi dans le feu de sa bataille électorale.