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dissiperas ; pourtant, s’il en était autrement… si c’était la triste vérité, j’aurais encore droit à un aveu loyal. Ta manière d’être vis-à-vis M. de Vair s’est modifiée, ne le nie pas ; tu le recherches d’une façon significative, tu le dérobes aux autres avec un soin jaloux, tu l’accables de prévenances où la femme a plus de part que la maîtresse de maison ; tout cela, l’observateur le plus superficiel, qui ne serait pas un mari toutefois, le remarquerait ; ne t’étonne donc pas que je m’en sois aperçue…

— Ma chère Mireille, interrompit sèchement Mme Marbel, puisque tu te poses en juge d’instruction, laisse-moi te faire observer que si tu n’étais pas quelque peu partie en un tel débat, tu ne l’aurais pas soulevé. T’es-tu donc privée de causer sans tiers avec M. de Vair, et y ai-je mis obstacle ? Que viens-tu maintenant me reprocher d’avoir fait comme toi et, si tu n’as pas le monopole des apartés avec les officiers de l’armée française, où prends-tu ce droit de haute police à l’égard de ceux qui t’entourent ?

— Tu oublies que ce qui n’entache pas une jeune fille condamne une femme mariée. M. de Vair m’eût-il fait la cour, j’étais libre de l’écouter… tandis que toi… Mais pourquoi ne réponds-tu rien ? poursuivit Mireille s’exaltant de plus en plus, dis-moi donc qu’il n’en est rien, que je suis folle, que tu n’as rien à te reprocher ?…

Et des yeux elle dévorait sa sœur toujours impassible.

— Non, je ne réponds pas à une sommation insultante, articula Mme Marbel avec hauteur, je méprise des insinuations dictées par une méchante envie.

— Des insinuations, oh ! non, car voilà des faits ! Ce n’est pas M. de Vair qui t’a recherchée, c’est toi… C’est toi qui t’es jetée à sa tête. Tu pensais sans doute qu’avec un homme de cette haute réserve, il fallait brûler ses vaisseaux, et tu pensais bien, car l’intrigue est nouée et elle marche…

— Quelle misérable invention !

— Oui, elle marche à ravir, elle marche sous les yeux de tes domestiques, sous les miens, excepté pour ceux de ton imbécile de mari qui s’est éloigné hier soir avec un à-propos délicat de manière à vous ménager un rendez-vous aux étoiles.

— Mireille, reprit très froidement Mme Marbel, cette instruction à laquelle tu t’es livrée contre ta sœur pèche par la base, et tu as de vilaines idées que tu regretteras tout à l’heure.

Un peu décontenancée par le calme de sa sœur, Mireille reprit :

— Ose me dire que je ne vous ai pas vus ensemble, hier soir, sur la terrasse ?

Sans même répondre à cette question. Mme Marbel poursuivit :

— Tu m’accorderas, bien que les rôles soient aujourd’hui étrangement intervertis, qu’en qualité de sœur aînée, j’avais charge de