A la même heure, le colonel Reichmann et un capitaine entraient dans la chambre du prince et l’éveillaient. Frédéric ignorait le jugement du conseil, la sentence du roi, et que son ami eût passé la nuit si près de lui. Nous ne savons pas bien comment il a vécu dans sa prison. On disait à Berlin qu’il était tombé malade, qu’il « menaçait ruine, » et que les desseins de Grumbkow et de Seckendorf, consentis par le roi, allaient s’accomplir. Grumbkow prétendait, au contraire, que le prince était très gai et bien portant ; que, s’il restait au lit, c’était pour éviter la peine de se déshabiller ; qu’il était toujours aussi impertinent : quand on lui a dit que sa dépense était réduite à 8 groschen, il a répondu qu’affamé pour affamé, il aimait autant l’être à Custrin qu’à Potsdam. Il est probable qu’entre ces témoignages contradictoires, celui de Grumbkow est le vrai. Frédéric ne se croyait pas menacé de mort et il ne pouvait, à son habitude, se retenir des plaisanteries dangereuses. Il souffrait surtout de l’ennui, mais des amis, malgré la défense du roi, lui firent passer des livres, et Frédéric trouvait délicieux les livres, même lus dans un cachot, à la lueur d’une chandelle. Il avait aussi une plume et de l’encre à sa disposition et le moyen de communiquer avec le dehors, car il adressait à sa sœur, le 1er novembre, la lettre suivante :
« Ma chère sœur,
« L’on va m’hérétiser après le conseil de guerre qui va se tenir à présent ; car il n’en faut pas davantage pour passer pour hérétique que de n’être pas conforme en toute chose au sentiment du maître. Vous pouvez donc juger sans peine de la jolie façon dont on m’accommodera. Pour moi, je ne m’embarrasse guère des anathèmes qui seront prononcés contre moi, pourvu que je sache que mon aimable sœur s’inscrit en faux là contre. Quel plaisir pour moi que ni verrous ni grilles ne m’empêchent de vous témoigner ma parfaite amitié ! Oui, ma chère sœur, il se trouve encore d’honnêtes gens dans ce siècle quasi corrompu, qui me prêtent les moyens nécessaires pour vous témoigner mes soumissions. Oui, ma chère sœur, pourvu que je sache que vous soyez heureuse, la prison me deviendra un séjour de félicité et de contentement. Chi ha tempo ha vita ! Consolons-nous avec cela. Je souhaiterais du fond du cœur n’avoir pas besoin d’interprète pour vous parler, et que nous revissions ces heureux jours où votre principe et ma principessa se baiseront, ou, pour parler plus net, où j’aurai le plaisir de vous entretenir moi-même et que rien ne peut diminuer mon amitié pour vous. Adieu.
« LE PRISONNIER. »