dernière journée. Le général Lepell envoya un repas avec de la bière et du vin. Le président de la chambre des domaines, Münchow, en envoya un second, avec du vin de Hongrie. Katte fit honneur aux deux repas. Le révérend Müller manda auprès de lui son collègue, l’aumônier de la garnison de Cüstrin, dont il réclama l’assistance. L’entretien pieux recommença. La nuit était venue ; à huit heures, Schack et d’autres officiers entrèrent dans la chambre, et ils prièrent et chantèrent avec les pasteurs et avec Katte. Une heure après, sur l’invitation des deux prêtres, qui voulaient rester seuls avec le condamné, ils se retirèrent.
C’est peut-être dans cette dernière soirée que Katte écrivit quelques lignes pour le prince. Il lui disait qu’il sortirait du monde sans rejeter sur lui la cause de sa mort ; que Dieu l’avait mené par un rude chemin, pour le réveiller et l’exciter au vrai repentir ; que la vraie cause de son malheur était son ambition et le mépris de Dieu. Il priait le prince de ne point concevoir de colère contre le roi, puisque sa mort était un acte de la seule justice de Dieu ; de se soumettre à la majesté royale de son père, qui était son seigneur et roi. Il l’adjurait, par les blessures du Christ, d’être obéissant envers cette majesté, et de se souvenir des promesses divines du quatrième commandement. Il espérait que son malheur apprendrait au prince le néant des desseins que Dieu n’a pas consentis, car le prince voulait combler Katte de bienfaits et de grandeur, et voilà où avaient mené ces beaux projets ! Que le prince rentre donc en lui-même et donne son cœur à Dieu.
Parmi ces conseils et ces exhortations à la piété envers le roi et envers Dieu, Katte glissait sa justification personnelle : il prenait le prince à témoin qu’il l’avait une fois adjuré de se soumettre à la majesté de son père, en lui citant l’exemple d’Absalon, et qu’il lui avait fait de vives représentations dans le camp de Saxe, et lors de la visite nocturne à Potsdam. Pourquoi ces lignes pour sa défense, qui sous-entendent des reproches à l’adresse du prince ? Il me semble que, sans se l’avouer, le malheureux avait gardé quelque espoir. Un contre-ordre arriverait peut-être. Peut-être ce testament passerait-il sous les yeux du roi, et le roi serait-il touché, en rencontrant, dans ces effusions de piété, cette protestation discrète.
Les heures passaient. A onze heures, Schack, qui ne pouvait dormir, rentra dans la chambre. Plus troublé que Katte, il avait besoin de se réconforter à son courage. Jusqu’à une heure, il pria et chanta avec lui. Il crut voir alors à la couleur du visage du prisonnier que la chair et le sang livraient bataille à la volonté. Sur la prière du pasteur, Katte consentit à se mettre au lit vers trois heures, s’endormit et fut réveillé deux heures après, en entendant relever les sentinelles.