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soulèvement était le directeur-général du chemin de fer ; parmi ses lieutenans figuraient le directeur des ateliers et plusieurs chefs de service. On vit rarement émeute officielle prendre aussi peu de peine pour cacher son jeu. Le commissaire national envoyé de Buenos-Ayres avec des forces pour rétablir l’ordre ne daigna pas montrer plus de finesse. Il mit en possession du pouvoir le directeur du chemin de fer, qui avait fait le coup.

A Cordoba, dont le tour vint ensuite, le docteur Juarez comptait assez d’amis pour n’avoir pas besoin de faire au gouverneur une insurrection dans la rue. Il la lui fit dans les chambres. Ce gouverneur, M. Olmos, était un brave homme enrichi dans les affaires et égaré pour son malheur dans la politique. On le mit en jugement devant la législature, érigée en haute cour, sur des griefs imaginaires. On ne put en établir aucun ; on ne l’en déclara pas moins déchu, et sa place revint bientôt à M. Marcos Juarez, frère du président.

Ces deux actes de vigueur rendaient superflues d’autres entreprises du même genre. Le milieu dans lequel le général Hoca avait recruté ses hommes de confiance n’était pas dévoré du feu sacré de l’indépendance. On y estimait que le premier des devoirs est d’être du côté du manche. Dès qu’il leur fut prouvé, par ces exemples, qu’il n’y avait d’autre alternative que d’être docile ou renversé, la plupart des gouverneurs s’empressèrent de donner des gages de docilité.

Alors on vit un spectacle curieux : le docteur Juarez, dont la tête n’est pas très forte, fut pris d’un goût maniaque d’autocratie. Le ministre de la guerre, le général Racedi, pendant une tournée en Entre-Bios, déclara, dans un discours retentissant, qu’il n’y avait qu’un seul parti dans la république, celui du président ; que celui-ci en était le chef unique et qu’on lui devait, à ce titre, une obéissance inconditionnelle. Ce devint un mot d’ordre : il fallait être « inconditionnel » ou n’être pas. De tous les points du territoire, les gouverneurs, les hauts fonctionnaires, durent envoyer par le télégraphe des protestations d’inconditionalisme ; il avait fallu inventer ce néologisme pour cette fantaisie sans précédons. Le gouverneur de Mendoza, qui ne mit point assez de hâte à abdiquer entre les mains du président toute initiative politique, fut renversé à main armée. C’était le troisième, comme on voit. Cette fois, ce fut un sénateur, lequel est en même temps colonel, qui se chargea de la besogne. Naturellement, ce fut la garnison de Mendoza qui exécuta ce mouvement populaire.

Le plus original, c’est qu’il était soigneusement stipulé que ces déclarations d’obéissance passive s’adressaient non au président,