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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/68

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douce, en comparaison de ce qui attendait le gibier chrétien dans les longues traversées de l’Atlantique et sous le fouet du planteur. Il ne faut pas oublier ces précédens de la civilisation, ne fût-ce que pour mesurer un progrès réel de la pauvre humanité.

La pénétration obstinée de l’Afrique n’a commencé qu’avec notre siècle. Dès le début, ce triangle irrégulier est entamé à ses trois extrémités. C’est d’abord Bonaparte, l’initiateur universel, qui saisit l’Egypte, l’attire dans notre orbite, la livre à l’étude de ses savans. Depuis lors, l’Egypte est redevenue ce qu’elle était dans le monde antique, un appendice naturel de l’Europe ; — on a pu dire pendant la première moitié du siècle, on devrait dire encore sans nos fautes, — un appendice de la France. Ce fut aussi la France, un peu plus tard, qui reprit pied dans les vieilles provinces romaines, à l’autre bout de la Méditerranée. Notre établissement algérien assurait à la civilisation son point de départ le plus nécessaire ; on en sera d’autant plus persuadé, que l’on considérera cet établissement, non comme une colonie lointaine, mais comme le prolongement et la chair même de la patrie. À la pointe méridionale du triangle, l’Angleterre remplaçait en 1815 les Hollandais ; elle fondait au Cap cet empire qui englobe peu à peu toute la région australe, qui prétend remonter sans interruption jusqu’aux bouches du Nil.

Par ces trois grandes portes, par les petites ouvertures pratiquées de vieille date sur les côtes de Guinée, une légion d’explorateurs se jeta dans l’intérieur. Mungo-Park les avait précédés sur le Niger, d’où il n’était pas revenu ; il avait inauguré le long martyrologe des voyageurs africains. L’invasion pacifique commença après 1815. Elle ne s’est pas faite, comme on pourrait le croire, d’une façon continue et régulièrement progressive ; on y distingue deux périodes, la première suivie d’un temps d’arrêt, presque d’un recul. Quelques-uns des plus beaux voyages d’Afrique, des plus féconds en révélations, ont été accomplis entre 1815 et 1830. Au moment où notre monde s’apaisait, les énergies sans emploi se jetaient sur un autre, portées encore par les souffles violens qui venaient de soulever tant d’âmes. Caillaud visite la Haute-Nubie, Mollien parcourt les bassins de la Sénégambie, Tuckey pénètre dans l’estuaire du Congo. Les frères Lander remontent le Niger jusqu’à Boussang. Le major Laing, parti de Tripoli, atteint ce fleuve, et périt avant d’arriver à la côte occidentale. Denham et Clapperton voient les premiers le lac Tchad ; on apprend par eux qu’il existe au Soudan des royaumes maures, des populations denses groupées autour du bassin central, dans la région la plus opulente et la plus saine du continent. Leur itinéraire serait le plus hardi de cette période, si nous ne pouvions revendiquer