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Jugement contradictoire, illogique, c’est possible. Pour le temps, dans les circonstances données, encore une fois, ce jugement-là valait un acquittement. On le vit bien à la fureur des ennemis de Foucquet.

Le deuxième opinant fut Sainte-Hélène. Prenant le contre-pied de l’avis exprimé par d’Ormesson, il émit, sur la question des preuves, une opinion étrange, mais qui depuis a fait, en maintes occasions, une singulière fortune. Chacune prise à part, disait-il, n’est sans doute pas très considérable ; mais, jointes ensemble, elles sont d’une très grande force. En conséquence, il conclut à la mort ; mais, par égard pour la qualité de l’accusé, il lui accorda d’avoir la tête tranchée, au lieu d’être pendu. Celui qui venait après Sainte-Hélène, c’était Pussort. Pendant cinq heures, il dépassa en violence tout ce qu’on pouvait imaginer ; en résumé, l’avis de Sainte-Hélène : A mort ! à mort ! Telle fut aussi la conclusion des quatre qui suivirent.

Le 18 décembre, il y avait donc six voix pour la mort, une seule pour le bannissement. L’attente du public était haletante ; il y en avait encore quinze à opiner : on connaissait à peu près les décidés, mais les douteux ? On comptait, on calculait, on supputait ; on faisait, comme on dit aujourd’hui, des pointages. Hélas ! les chances paraissaient bien mauvaises et les amis se désespéraient. Tout à coup, retour de fortune : six voix successivement favorables, l’une même ne concluant qu’à cinq ans d’exil ! C’était un conseiller au parlement de Provence, Rocquesante, qui avait rompu la série rouge, et cependant l’accusation comptait sur lui ! Un de ces commissaires de province, le conseiller Masnau, avait été véritablement héroïque. Il souffrait cruellement d’une colique néphrétique. « Monsieur, lui dit Séguier, retirez-vous, vous n’en pouvez plus. — Il est vrai, monsieur ; mais il faut mourir ici. » Comme il était près de s’évanouir, le président suspendit l’audience. Masnau sortit et rentra au bout d’un quart d’heure : il avait rendu deux graviers. Le lendemain, la conclusion à mort fut reprise par Poncet ; mais il y eut de nouveau un flux de cinq opinions clémentes, exil ou bannissement. Foucquet était sauvé. Voysin, son ennemi personnel et beau-frère de Denis Talon, conclut nécessairement à mort. Pontchartrain vota comme d’Ormesson. Restait Séguier ; après toutes ses déconvenues dans le procès, après la passe d’armes du dernier interrogatoire, son avis n’était pas douteux : à mort.

Le délibéré avait duré cinq jours ; des vingt-deux commissaires, neuf seulement avaient voté la mort, neuf le bannissement perpétuel, un le bannissement pendant neuf années, trois l’exil ou relégation pendant cinq ans. Sans plus attendre, le président rédigea