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l’avant-veille, Foucquet était monté en carrosse avec d’Artagnan. Hors de la Bastille, à la porte Saint-Antoine, la foule attendait ; et, quand le carrosse parut, ce fut une clameur, non de colère et de malédiction, comme autrefois sur le chemin d’Angers à Amboise, mais de sympathie, au contraire, et d’attendrissement. Où s’en allait-il ? Bien loin, à Pignerol, de l’autre côté des Alpes, à l’entrée du Piémont ; voyage long et pénible, au cœur de l’hiver. Il faut rendre bonne justice à d’Artagnan et lui faire honneur des soins attentifs qu’il eut pour son prisonnier ; mais quand ils furent arrivés enfin, le 16 janvier 1665, ce fut un autre qui fut commis à sa garde.

Pignerol, en ce temps-là ville française, était du département de Le Tellier, secrétaire d’état de la guerre, ou, plus exactement, de Louvois, son fils. Louvois n’avait pas de ressentiment personnel contre Foucquet ; mais il avait le caractère dur et il tenait à se faire bien voir de Louis XIV. Il fut donc de loin pour le prisonnier haï du roi un geôlier en chef rude et sans pitié. Le geôlier subalterne et prochain était un soldat du nom de Saint-Mars, très borné d’esprit, mais d’habitude vigilante et ferré sur la consigne. Dans la citadelle de Pignerol, Foucquet fut mis au secret le plus rigoureux, comme aux premiers jours de sa détention. Ni encre, ni papier, ni plumes ; quelques livres de dévotion, prêtés un par un, et visités, avant et après, page par page ; partout une atmosphère écœurante, asphyxiante, de soupçon et de défiance. C’est à peine si le captif avait le droit de jeter, à travers ses fenêtres grillées, un coup d’œil vers la montagne.

En 1670 il eut un grand chagrin. Laforêt, ce brave et dévoué serviteur qui, le premier, éludant les mousquetaires du roi, avait apporté à la mère de Foucquet la terrible nouvelle de Nantes, Laforêt avait entrepris de faire évader son maître. Trahi, dénoncé, il s’était réfugié à Turin ; mais, poursuivi jusque-là, réclamé avec menaces, il fut livré aux gens de Saint-Mars, ramené à Pignerol et pendu.

Ce fut seulement au mois d’octobre 1672 que Foucquet eut, pour la première fois, quelque nouvelle des siens. Louvois permit qu’on lui laissât lire deux mémoires envoyés par sa femme, deux mémoires d’affaires. Ils ne devaient pas être bien explicites, car, trois ans plus tard, quand il eut enfin la permission d’écrire et que la correspondance fut autorisée, deux ou trois fois l’an, entre les deux époux, il disait : « Je n’ai pas bien compris comment vous vous êtes chargée des terres, par quelle forme, pour quel prix, et ce que vous êtes tenue d’acquitter de dettes. J’aurois bien voulu savoir cela en général, car je vous trouve bien accablée. » Une autre