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surtout, l’insignifiante Anne de Danemark, épouser un prince était déroger. Le comte palatin Frédéric V, issu comme elle par sa mère de la maison de Danemark, fut admis à lui faire sa cour. Il avait dix-sept ans, elle en avait seize. Décidée à refuser sa main, elle prenait cependant plaisir à lui plaire. Un chagrin cruel la frappa. Son frère chéri, Henri, prince de Galles, mourut subitement ; on suspendit les fêtes, les cavalcades et les parties de chasse dans lesquelles celui qu’elle refusait d’appeler son fiancé paraissait embarrassé et timide. On se vit de plus près, et la tristesse fit naître l’amour.

Les fêtes du mariage furent éclatantes, elles coûtèrent plus cher que la dot. La poésie jouait alors un grand rôle, quoique, sans doute, le salaire des poètes entrât pour une faible part dans les immenses dépenses entreprises sans compter.

Le chœur qui salua les époux, au retour de la cérémonie nuptiale, chanta, sur un air qui n’a pas été conservé, des couplets ayant pour refrain :


Ce mariage est un trésor
Qui renouvelle l’âge d’or.


Le soir, après les divertissemens où Jason, Pelée et Thétis, Télamon, Pallas, Junon, les sirènes et Orphée avaient joué leur rôle, après des danses pour lesquelles les grands seigneurs faisaient, pour leurs costumes, assaut de prodigalité et d’inventions bizarres, le chœur, continuant à tout expliquer et à tout annoncer, congédiait les assistans par ce couplet final :


Sus, Sommeil, tire les rideaux
Et rends toutes choses muettes
Afin que tant mieux ces jumeaux,
Jouissent de leurs amourettes.


Sur cet épithalame, les nouveaux époux se retirèrent.

Frédéric quitta Londres quatre mois après, en grande froideur avec son beau-père. S’étant hasardé à demander la grâce d’un gentilhomme sévèrement condamné pour une imprudence bien pardonnable, — il avait témoigné une respectueuse sympathie pour la charmante et malheureuse Arabella Stuart, — Jacques Ier répondit : « Je ne me mêlerai pas de votre gouvernement, ne vous mêlez pas du mien. »

Cette Arabella, puisque nous la rencontrons, mérite un respectueux salut. Fille de Darnley et par lui sœur de Jacques Ier, elle descendait d’Henri VII, et une faction désireuse d’enlever la couronne d’Angleterre à un Écossais avait voulu, sans qu’elle y prît