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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/98

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son cousin germain, le vicomte de Turenne, qui devait ravager sa patrie. Tant de brillantes et nobles attaches ne l’ont pas préservée de la pauvreté. La misère même a tourmenté sa famille. Un subside gracieusement accordé par les états de Hollande, seul revenu assuré à ses parens, aurait pu largement suffire à une noble famille ; un roi tient son rang et sacrifie le reste. L’économie est vertu de petites gens. Pour soulager l’embarras des dettes criardes, on implorait, avec le plus de dignité qu’on pouvait, les nobles parens, toujours lents à promettre, plus lents encore à envoyer de mauvaise grâce des secours très insuffisans. Au milieu de divertissemens et de prodigalités, la misère était grande.

« J’avais le tempérament si gai en ce temps-là, a écrit une des sœurs d’Élisabeth, la princesse Sophie, que je me divertissais de toute chose. Les malheurs de ma maison n’étaient pas capables de l’altérer, quoique nous eussions des temps à faire des repas plus riches que ceux de Cléopâtre, et que l’on ne mangeât à la cour que des perles et des diamans. Mais cette pauvreté ne me faisait aucune peine. Les marchands me fournissaient toujours tout ce que j’avais de besoin, et je laissais à la providence le soin de les payer. »

Certaines congrégations religieuses ont pour maxime qu’il ne faut jamais différer une bonne œuvre. Si l’argent manque, on s’endette ; Dieu y pourvoira. La famille d’Élisabeth avait les mêmes principes. Le luxe chez un prince est un devoir ; il faut briller, quoi qu’il en coûte ; paiera qui pourra.

Élisabeth naquit en 1618, au moment où la ruine et les déceptions de tout genre allaient remplacer la prospérité de sa famille. Sa mère, Élisabeth Stuart, était fille du roi d’Angleterre Jacques Ier. Son père, Frédéric V, électeur palatin, avait pour mère Juliane, née princesse d’Orange, fille de Guillaume le Taciturne, fondateur et chef tout-puissant de la république des Pays-Bas ; Frédéric, surnommé le roi d’un hiver, winter könig, aurait pu gouverner paisiblement un pays riche et tranquille préservé du souffle des guerres religieuses par l’unité de la croyance. Élisabeth Stuart, dont l’enfance fut confiée à un noble et rigide gentilhomme, sir John Harrington, et à lady Harrington, venait à l’âge de quatorze ans s’épanouir à la cour d’Angleterre, digne héritière de la grâce, de l’esprit et de la beauté de sa grand’mère Marie Stuart. Les courtisans encensaient la princesse ; les plus brillans chevaliers se disputaient les regards de la jeune fille. Passant avec aisance de l’enjouement à l’enthousiasme, elle rehaussait par une aimable simplicité la culture d’un esprit très orné. Intrépide chasseresse, chacun se récriait en la voyant s’élancer sur son palefroi avec la légèreté d’une nymphe. Pour la brillante fille du roi d’Angleterre, pour sa mère