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la frontière sous la conduite de son évêque Grimoald. — Voilà comment les Bulgares devinrent orthodoxes.

Le cas des Serbes n’est pas meilleur. On ne sait trop quand ils reçurent le baptême. Mais on sait très bien que pendant des siècles leurs princes firent la bascule entre Rome et Byzance. Leur hésitation est d’abord sincère. Ils comprennent qu’il faut à leur couronne toute neuve une bénédiction. Mais laquelle ? où trouver la plus efficace, la plus fructueuse, soit en qualité, soit en quantité ? L’embarras n’est pas mince. Il ne s’agit plus, comme pour les Bulgares, d’exploiter les divisions intérieures de la maison : le divorce est maintenant consommé ; entre les églises rivales, il faut choisir. Qu’à cela ne tienne : ils iront d’abord à droite, et, si leur intérêt l’exige, ils reviendront à gauche. Etienne Nemanya se fait couronner par le pape ; mais il s’aperçoit un beau jour, en lisant son discours du trône, que cet ornement, d’origine italienne, ne flatte pas l’œil de ses compatriotes. Immédiatement, il en commande un autre à Byzance et le met sur sa tête en grande cérémonie. Au fond, l’hostilité réglée des deux cours pontificales fait très bien les allaires de ces rusés despotes. Les communications sont difficiles : les nouvelles ne vont pas vite, de Rome à Constantinople. Placés presque à mi-chemin, les rois serbes peuvent conduire une négociation en partie double et offrir simultanément leurs services des deux côtés, sauf à comparer les enchères. Ils ne s’en firent pas faute, et suivant qu’ils avaient sur les bras les Hongrois ou les Grecs, ou les deux en même temps, on les voit écrire de la même encre une supplique en latin au saint-père et des soumissions en grec au patriarche. Il en est un, dans la série, qui poussa le procédé jusqu’à la perfection. Il s’appelait Milutin Uroch. Ce monarque ingénieux menait de front la controverse, les femmes et la politique, au point de confondre ces différens moyens d’action. Quand il voulait s’étendre au nord, il épousait une Hongroise et priait en latin. Si de nouveau le midi l’attirait, il renvoyait la Hongroise à ses parens, prenait une Bulgare et chantait en slavon. Un peu plus tard, il accommoda encore par un mariage ses démêlés avec l’empereur Andronicus. Sa nouvelle fiancée avait huit ans. De femme en femme et d’église en église, il fit tant de chemin qu’un jour il rencontra les Turcs. Le temps lui manqua pour monter un harem et se faire musulman.

D’aussi fréquentes palinodies donnaient beau jeu à tous les inventeurs de doctrines merveilleuses, à tous les marchands d’orviétan religieux, de même qu’aux anciens adversaires de l’église. Dès le IXe siècle, la Bulgarie, à peine baptisée, en est littéralement inondée. Ce sont les juifs d’abord, animés à cette époque de