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à plaisir, pendant le séjour aux antipodes. Dans ces derniers temps, on a beaucoup discuté la question de savoir si les Européens peuvent fonder dans les pays tropicaux des colonies dans le sens strict du mot, y résider pendant plusieurs générations de suite et y faire souche de race pure. Le célèbre professeur Virchow est un de ceux qui nient, avec autant d’autorité que d’énergie, la possibilité d’une véritable acclimatation de la race européenne dans un pays tropical. S’il est permis à un naturaliste, ayant habité pendant plusieurs années la belle île de Java, et dont il est fervent admirateur, d’émettre un avis discret sur ce point litigieux, il faut bien avouer que tout porte à donner raison à M. Virchow. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, de la possibilité théorique de cette acclimatation, le fait brutal est celui-ci : dans les Indes néerlandaises, et autant que je sache aussi dans d’autres pays tropicaux où s’exerce depuis des siècles la domination européenne, la race pure n’a pas réussi à s’acclimater.

Ces points une fois posés, on conçoit clairement pourquoi, à de rares exceptions près, les universités, facultés des sciences et institutions analogues ont fait jusqu’ici défaut dans les colonies tropicales. Les familles envoient leurs fils en Europe faire leurs études et prendre leurs grades ; le corps enseignant universitaire, avec ses laboratoires, ses bibliothèques, ses cabinets et ses collections, n’existe pas. Ces grandes installations, usines où se meut tout un monde de travailleurs dans le domaine de la science, sont absentes et pourtant, c’est surtout dans une colonie tropicale que l’intérêt matériel, qui y joue un si grand rôle, doit faire attacher beaucoup de valeur à l’application des données scientifiques. Il y a là une contradiction qui saute aux yeux, et qui devient plus manifeste encore si l’on passe de la thèse générale au cas spécial de la botanique, science qui entre la première en ligne de compte, à cause de l’importance capitale qui revient à l’agriculture dans un pays tropical. Or les temps sont passés, et on doit s’en féliciter, où le prix élevé des denrées coloniales, le manque de concurrence, le bon marché excessif de la main-d’œuvre, parfois malheureusement aussi des iniquités commises envers la population indigène, rendaient superflues toutes connaissances spéciales à celui qui courait la chance de faire fortune dans l’agriculture. Nous sommes déjà loin de ce temps où l’empirisme le plus grossier suffisait à mainte personne, en lui permettant de s’enrichir sans instruction aucune, et souvent même sans intelligence. Pour s’assurer un gain solide, l’agriculture tropicale ne réclame pas moins que celle des pays tempérés, de l’entente et des notions spéciales ; et pour elle aussi le besoin se fait sentir de s’établir sur de sérieuses bases scientifiques. On a dit, il