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dans une toge très riche, mais de forme un peu démodée. Il tenait ses yeux obstinément baissés, des yeux gros et saillans, imprégnés d’une bienveillance dédaigneuse. Ses cheveux étaient restés noirs et épais. Son front dénotait l’homme qui, parmi l’aveuglement et la perplexité de tous, seul se faisait une idée claire sur l’ensemble des apparences. » Pourtant, il avait dans les plis de la bouche et dans les mains quelque chose d’émacié, d’ascétique, qui choqua Marius comme l’indice d’un manque de respect pour la santé du corps.

Quelque temps après, Marius, vêtu de sa toge de cérémonie et avec le lourd anneau d’or de l’ingenuus, fut admis auprès de l’empereur. Il vit la plus belle femme de l’empire et la plus mystérieuse, l’impératrice Faustine, assise auprès d’un brasier dont la lumière rougissait ses doigts effilés ; à ses côtés étaient son fils Commode et le vieux précepteur Fronton. Marc-Aurèle aussi était là, causant familièrement avec chacun des visiteurs, et il semble que Marius lui ait plu par la pureté de son regard : « Il convient, lui dit-il, de ressembler aux dieux plutôt que de les flatter. Assurez-vous que ceux dont vous vous approchez sont rendus plus heureux par votre présence. » La présence de l’empereur avait rendu le jeune homme plus heureux : comment donc expliquer qu’il ait trouvé bien autrement curieux son nouvel ami Cornélius ? « Celui-là était sévère et dur, mais il y avait autour de lui comme un parfum d’espérance, de fraîcheur et d’espérance, comme la lueur d’une aurore nouvelle. » Et Marius, dont l’esprit ne pouvait concevoir les choses que sous une forme sensible, se demandait de quel dogme intellectuel ce jeune Cornélius pouvait bien être le symbole.

Un discours de Fronton lui fit entrevoir un idéal de vie morale si haut et si large qu’il se sentit honteux de la petitesse du sien. Que manquait-il à son cyrénaïsme ? Il ne savait ; mais il avait perdu sa sérénité ancienne. A fréquenter Marc-Aurèle, il ne put que s’embarrasser davantage dans l’hésitation. Le stoïcisme lui paraissait trop froid, avec quelque chose de vieillot qui lui déplaisait, et cependant il voyait l’empereur y puiser une sainteté, une calme et poétique dignité qui l’émouvaient infiniment. Par instans, il apercevait un grand idéal, dans la nuit montante de sa pensée : il voulait le saisir et ne pouvait.

La certitude morale qu’il cherchait et qu’échouèrent à lui donner le platonisme mystique d’Apulée aussi bien que le scepticisme de Lucien, il pensa les trouver enfin dans les croyances d’une dame chrétienne, Cœcilia, amie de Cornélius. La messe le séduisit par la grandeur de son symbolisme : le culte des morts lui parut satisfaire à des sentimens qu’il avait toujours eus et que nulle