Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophie n’avait su apprécier. Il éprouvait chaque jour plus vivement, auprès de cette jeune femme imposante et belle, l’impression de fraîche espérance que lui avait déjà donnée la vue de son ami. En même temps une charité nouvelle se découvrait à lui : le récit des martyrs lui révélait le bonheur du sacrifice. Le monde, qui lui avait semblé jadis peuplé de dieux, à présent se peuplait pour lui de voix douloureuses qui l’appelaient. Mais son âme païenne ne pouvait se résigner tout à fait à cette religion trop dédaigneuse du monde ; un séjour dans sa villa natale le rattacha même un instant aux illusions passées. Ce qui restait le plus clair en lui, c’était un besoin de tendresse, un triomphe du cœur sur l’esprit : peut-être aimait-il d’amour cette noble Cœcilia dont il revoyait sans cesse l’image douce et grave ?

Il rentrait à Rome avec Cornélius lorsque, à la suite d’un tremblement de terre imputé aux chrétiens, tous deux furent assaillis et arrêtés par les habitans d’un village. On savait que l’un d’eux seulement était chrétien ; mais Marius, sur d’être délivré en arrivant à Rome, laissa partir son ami et resta aux mains des soldats. Les durs traitemens de ces hommes, le froid, la fatigue et la faim lui causèrent une fièvre mortelle. Son agonie fut d’ailleurs très calme, réconfortée par le souvenir de son courageux sacrifice. Il mourut avec la certitude que des sources d’espoir nouvelles rendraient la vie plus facile aux générations qui le suivraient : Abi, abi, anima christiana ! lui disaient en pleurant les saintes femmes qui l’avaient recueilli. Ses restes furent brûlés en secret : on célébra la mémoire sacrée de son martyre.


III

On a dit que M. Shorthouse, l’auteur de John Inglesant, était un négociant de Londres, employant aux lettres les heures de loisir que lui laissait sa profession ; et, en vérité, ses derniers romans, Sir Parcival[1], la Comtesse Eve[2] trahissent, par un mélange assez gauche de symboles poétiques et d’aventures banales, l’inhabileté d’un homme que son art n’occupe point tout entier. Pourtant John Inglesant est un ouvrage curieux. En outre du caractère du héros, dont nous avons essayé de donner une idée, il contient des portraits de personnages célèbres, des peintures de mœurs, toute une partie plus spécialement descriptive, traitée avec un extrême souci de l’exactitude historique. Les images ne sont ni très originales ni très délicates, mais elles dénotent le plus souvent une

  1. Macmillan, éditeur, 1 vol.
  2. Macmillan, éditeur, 1 vol.