ne sont pas même des livres comme la Tentation de saint Antoine de Flaubert, où l’auteur ait voulu résumer et opposer les divers systèmes : les systèmes nous sont présentés constamment à travers l’âme du jeune cavalier anglais et du jeune martyr romain.
Mais si les systèmes ont des aspects différens, les deux âmes sont les mêmes, et en subissent toutes deux les mêmes effets. Toutes deux désirent une certitude plus complète, mais aussi plus esthétique que celle que leur offre leur temps ; toutes deux refusent de renoncer aux plaisirs de la vie, et toutes deux se sentent incapables d’en jouir. Avec un tempérament sensuel et un intime besoin d’affection, John Inglesant et Marius passent à côté de l’amour aussi bien que du bonheur : se sacrifiant à des causes où ils ne peuvent se convertir. Chose singulière, l’un et l’autre, tout au long de leur vie, ne semblent pas connaître les fortes souffrances : le doute les inquiète plus qu’il ne les afflige. Lorsque vient le terme de leur existence, ils se trouvent satisfaits du rôle qu’ils ont joué, et cependant ce rôle nous apparaît assez mélancolique, nous laissant la désolante impression de nobles âmes restées inutiles.
Est-ce donc que M. Shorthouse et M. Pater ont, malgré toute leur science, prêté à des personnages anciens des sentimens modernes ? Nous croyons plutôt que leurs portraits sont fidèles, que Marius est un Romain du temps des Antonins, et Inglesant un Cavalier de 1648, mais que, sous l’effet de conditions pareilles, l’empire romain sous Marc-Aurèle et l’Angleterre du XVIIe siècle ont produit les mêmes caractères, et des caractères qui, sous l’effet de conditions analogues, se retrouvent encore dans la société anglaise contemporaine.
Les Anglais prétendent volontiers que l’ancien peuple romain est celui qui se rapproche le plus d’eux : et il est sûr qu’il y a, de part et d’autre, le même sentiment de fierté nationale, le même respect des convenances extérieures et des traditions, le même goût d’une beauté toute plastique, la même impuissance à concevoir les choses en dehors de leur aspect sensible, le même tempérament énergique, violent, ennemi des expansions. Or il est arrivé, à des époques déterminées, que ces deux races ont été envahies de curiosités qui ne leur étaient point naturelles : elles ont senti le désir de rivaliser en finesse avec des races plus fines, en pure beauté idéale avec des races moins sensuelles. Que ces influences leur soient venues des sophistes grecs, ou de la Renaissance italienne et française, ou encore du romantisme et de la métaphysique allemande, il était naturel qu’elles agissent de façons semblables sur des natures semblables. Voilà pourquoi un romain contemporain de Marc-Aurèle et un gentilhomme anglais contemporain de Charles Ier ont pu avoir les