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Les choses passent si vite de nos jours que tout ce qui a fait l’intérêt de ces derniers mois semble déjà presque oublié. On dirait que c’est déjà une vieille histoire, dont la solitaire et froide tour Eiffel demeure l’unique témoin. Les somptuosités, les fontaines lumineuses, les décorations mobiles de la fête ont disparu. La foule aussi s’est éloignée et dispersée. Puis on est retombé presque brusquement dans la vie de tous les jours ; on a été ressaisi par les affaires, par les âpres divisions des partis, par toutes les vulgarités de la politique. Le rêve s’est évanoui, on est rentré dans la réalité. Ce qui s’est passé durant ces quelques mois, ce qui a rempli cette année, aujourd’hui révolue, ne garde pas moins son caractère et sa signification. C’est plus qu’un souvenir déjà à demi effacé ; c’est un événement qui reste avec son originalité, qui éclaire le mouvement des choses, un des plus curieux phénomènes de la vie contemporaine. A dire vrai, au début, lorsqu’on s’était proposé de célébrer, après un siècle, par des solennités particulières, cette date de 1789, la première idée, l’idée unique, était tout simplement une commémoration révolutionnaire. C’était la révolution française qu’on voulait célébrer dans ses origines, dans ses suites tragiques, éclatantes ou lugubres. L’Exposition universelle, qu’on avait imaginée du même coup, n’était qu’un accompagnement, un accessoire, une décoration comme une somptueuse tenture ou les illuminations des jours de fête. Qu’est-il arrivé, cependant ? C’est ici que s’est produit un curieux phénomène. A peine a-t-on été entré dans cette année des grandes surprises, le centenaire révolutionnaire s’est à peu près éclipsé ou n’a plus joué, du moins, qu’un rôle effacé ; c’est l’Exposition universelle qui a pris aussitôt la première place, qui est devenue l’attrait souverain, la vive et séduisante magie du moment.

Oh ! sans doute, les programmes qu’on avait préparés pour le centenaire ont été exécutés. Il y a eu aux grandes dates les cérémonies commémoratives au Jeu de paume, à Versailles ou ailleurs. Ou a fait des discours officiels, des manifestations officielles, des processions officielles ; on avait même imaginé pour la circonstance un musée de la révolution. A parler franchement, avouez-le, tout cela a été froid, a passé au milieu d’une certaine indifférence publique ; on sentait que ces cérémonies, ces discours, ces apothéoses toujours les mêmes, ces grands mots, ces grandes phrases, n’avaient plus le don de remuer l’opinion, la fibre populaire, et ne répondaient plus à rien. Il a été clair dès le premier jour que tout ce qu’il y avait de curiosité, d’empressement spontané, de passion vive et sincère, se portait au Champ de Mars, non aux vaines exhumations de l’archéologie révolutionnaire. La foule a couru là où elle trouvait l’intérêt et la vie, là où elle se sentait attirée, satisfaite, émerveillée et même instruite. Bref, pour être dans le vrai, cette année qui a une fin assez morose, après tant d’éclat, reste l’année de l’Exposition bien plus encore que l’année du centenaire. Et qu’on