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de ces bravades, celui-ci demandait que l’on répondît par une action immédiate et vigoureuse ; surtout que l’on profite de cette étrange répartition de l’armée de secours en deux corps établis l’un à l’est, l’autre à l’ouest de la place, séparés par une grande distance, par mille obstacles, incapables de se prêter le moindre appui. Il ne pouvait obtenir que des demi-mesures tardives ; on faisait sortir quelques escadrons confiés à Marchin ou à Ligniville, et quand ils rentraient, l’un sans avoir rien pu faire, l’autre sans avoir rien tenté, leurs rapports devenaient l’objet de discussions interminables qui n’aboutissaient à aucun résultat. Rien ne pouvait troubler l’impassible résolution du conseil : « Nous ne sommes pas ici pour donner des batailles, mais pour prendre Arras, répétait Fuensaldaña. — Rien, monsieur, finit par lui dire Condé, bien ! nous ne donnerons pas la bataille, on nous la donnera : nous serons battus, et nous ne prendrons pas Arras. »

Les progrès du siège étaient lents. Reconnaissant la compétence de M. le Prince, les alliés lui avaient abandonné la direction des travaux ; mais son application, son savoir, son esprit fertile en inventions, ne pouvaient corriger l’erreur fondamentale, la disposition défectueuse des attaques. Il avait, d’ailleurs, trouvé dans le gouverneur Montdejeu[1] un adversaire digne de lui, moins savant, aussi actif, presque aussi ingénieux, disposant d’une belle garnison et contenant avec rigueur les sympathies espagnoles de la population. Cependant, quarante jours s’étaient écoulés depuis l’ouverture de la tranchée ; l’assiégé laissait percer un certain découragement ; la place semblait être à bout de ressources. Condé cherchait à hâter le dénoûment sans laisser aux maréchaux le temps de porter ce coup décisif que Montdejeu attendait, que tant de symptômes faisaient prévoir et que l’apathie de l’assiégeant provoquait.


III. — LE SECOURS. — LA « RETRAITR D’ARRAS. »

Le 24 août, M. le Prince avait passé la soirée à la tranchée pour presser le travail. Vers minuit, il rentrait à son logis et mettait pied à terre, lorsque le baron de l’Aubespine, envoyé par

  1. Jean de Schulemberg, comte de Montdejeu, servait depuis l’âge de seize ans et devint maréchal de France en 1658. Un de ses aïeux, d’origine allemande, avait été page de Louis XI. — Fort bon officier, mais impérieux, avide, il eut de fréquens démêlés avec les habitans d’Arras et vivait mal avec sa femme, Madeleine du Roure. Celle-ci, s’étant sauvée et mise sous la protection du parlement, fut enlevée manu militari et ramenée au domicile conjugal avec une escorte de cavalerie. — Montdejeu n’était guère aimé à la cour ; mais on redoutait son autorité dans une ville si importante et si souvent menacée. Enfin on se décida à le déplacer en 1664 ; il eut alors le gouvernement du Berry et mourut en 1671.