Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà bien la furie française. Il ne vous faut que quatre mots pour juger dix siècles, soit la moitié de l’ère chrétienne. Avant d’apprécier les services rendus par notre église, avez-vous du moins vécu dans sa familiarité ? Vous verriez à l’occasion que son œuvre n’a pas été tout à fait aussi stérile qu’il vous plaît de le supposer. Mais d’abord, sur l’article de la foi, il vous siérait d’être modeste. Il se peut que la nôtre ne soit pas fort éclairée. Aussi bien, celle de vos Bretons ne l’est guère. Mais, si simple que soit une croyance, on est encore heureux d’en avoir une. Vous autres, Français, vous ne pourriez pas en dire autant ; et je vous trouve vraiment présomptueux de regarder ainsi dans l’âme du prochain. S’il existe un Dieu qui nous écoute, il est assurément moins sévère que vous. Avez-vous donc oublié la jolie légende de ce jongleur devenu moine, qu’un de vos érudits, M. Gaston Paris, racontait dernièrement ? Le brave homme, ne sachant comment témoigner sa dévotion à la Vierge, exécutait dans sa cellule les tours les plus compliqués de son art : pour complaire à la reine des cieux, il se mettait la tête en bas, les pieds en l’air ; et la bonne Vierge, touchée de cet hommage, essuyait la sueur de son front…

— Il est vrai, dis-je un peu confus ; je n’ai point la prétention de m’immiscer dans les questions de foi : que les orthodoxes fassent, ou non, leur salut, ce n’est point mon affaire. Mon point de vue est plus humain. Je juge de l’arbre par ses fruits ; et c’est très humblement que je vous prie de m’expliquer comment cette église, si constante dans ses traditions, si uniforme dans son culte, n’a pu porter remède aux divisions qui, de tout temps, ont fait le malheur de la péninsule.

— Oh ! ceci est autre chose. Je déplore comme vous, l’impuissance, ou, si vous aimez mieux, les déchiremens de l’église dans les Balkans. Mais savez-vous quoi est le premier coupable ? c’est l’empereur Constantin…

Pour le coup, je crus qu’il se moquait de moi. Il ne remarqua pourtant pas ma surprise et continua :

— Votre église de Rome honore beaucoup la mémoire de cet empereur, et à bon droit ; mais, suivant moi, elle se méprend sur les motifs de sa gratitude, Elle lui sait gré d’avoir procuré, selon le mot de Bossuet, la paix de l’église, en d’autres termes, d’avoir fait du christianisme une religion d’état. Or je suis de ceux qui pensent que, moins l’état s’occupe de la religion, mieux elle se porte. Non, son véritable titre à votre reconnaissance, c’est d’avoir déplacé l’axe de l’empire en fondant Constantinople, et d’avoir préparé la grandeur du saint-siège on le débarrassant d’un encombrant voisinage.