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simple, un peu rustique, qui s’allonge modestement à l’ombre de la cathédrale. Précisément, à cette époque, la maison changeait de locataire : le métropolite Théodose avait dû céder la place au métropolite Michel, qu’il avait lui-même expulsé cinq ou six ans plus tôt. Ces déménagemens, dont les chancelleries s’émeuvent, paraissent ici fort ordinaires, et font à peine tourner la tête aux passans. Je revis alors dans ma mémoire la figure joviale de l’excellent Théodose, et ce petit œil juvénile qui faisait un si piquant contraste avec sa belle barbe d’argent. Je le vis paternellement assis dans le sein des familles et donnant une de ses mains à baiser, tandis que, de l’autre, il portait à ses lèvres une cuiller de slatko. Je le vis à l’église, majestueux et décoratif, dans la carapace dorée de ses habits sacerdotaux ; puis le soir prenant le frais sur sa porte, causant familièrement avec tout le monde ; ou bien gai convive, un jour de noce, et buvant à la santé des époux. Quel charmant prélat ! c’était un évêque selon le cœur de Béranger, le représentant sur la terre du Dieu des bonnes gens. Que n’a-t-il vécu paisible, entre quelques amis, dans son grand salon frais et bien clos ! D’ailleurs, le moins intrigant des hommes : ce n’est pas lui qui cherchait la politique. Cette fâcheuse est bien venue d’elle-même s’asseoir à son chevet. Dans toutes les crises ministérielles, on mettait d’abord sur le tapis le départ de Théodose. Le chef infortuné de l’église autocéphale aurait pu dire, comme certain personnage de comédie : « Mais on ne parle ici que de ma mort ! » Ce fut bien pis quand surgit l’épineuse affaire du divorce royal. Vainement Je digne petit vieillard courait de l’un à l’autre époux. Vainement, conciliateur impuissant, il en perdait le boire et le manger. Théodose n’avait ni la taille ni le ton qu’il faut pour fulminer des interdits. La nature l’eût-elle doté plus libéralement, comment faire des remontrances au pouvoir qui vous nomme, vous dépose, vous loge et vous nourrit ? Ah ! il eût sacrifié de bon cœur, alors, cette flatteuse autonomie spirituelle qui le mettait sans contrepoids à la discrétion de son maître ! Il dut s’exécuter en soupirant : il prononça le divorce de sa propre et tremblante autorité. Parmi les considérans de son arrêt, se trouvait cette sentence remarquable : « Il est bon de découvrir les œuvres de Dieu, mais il est bon de cacher le secret du roi. » J’ai cru longtemps que l’aphorisme avait été inventé pour les besoins de la cause. Il est vrai que je ne connaissais point encore le livre de Tobie, ni la Politique tirée de l’écriture sainte. À son insu, Théodose répétait un mot de Bossuet sur Louis XIV. Maintenant qu’on a rendu cet aimable évêque à ses chères études, c’est-à-dire au soin de ses abeilles, j’espère qu’il a recouvré toute sa sérénité. Mais je doute qu’il partage, sur les rapports de l’église et de l’état, les idées de mon digne ami, le professeur X.