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Les circonstances leur fournirent d’abord une réponse aisée. Sous des princes comme Trajan, Hadrien, Marc-Aurèle, les armées étaient victorieuses et le monde tranquille ; cependant le christianisme ne cessait de se répandre : ses ennemis mêmes étaient forcés d’avouer ses progrès. Il fallait donc croire, ou que les dieux étaient indifférens à l’outrage que leur faisait cette religion rivale, ou qu’ils n’avaient pas la force de le punir. Il y eut même alors des écrivains ecclésiastiques qui crurent pouvoir aller plus loin. Il ne leur suffit pas de montrer que l’établissement du christianisme n’avait pas nui à l’empire, puisqu’il était très florissant ; ils pensèrent avoir le droit de lui attribuer la prospérité dont il jouissait. L’évêque de Sardes, Méliton, un fort habile homme, qui semble avoir entrevu, dès le IIe siècle, une alliance possible entre l’Église et l’Etat, faisait remarquer à Marc-Aurèle que depuis Auguste, c’est-à-dire depuis la naissance du Christ, la puissance romaine n’avait éprouvé aucun revers sérieux, que la paix était profonde, que l’univers paraissait parfaitement heureux : « ce qui prouve évidemment, ajoutait-il, que le christianisme a grandi pour le bonheur et la gloire de Rome. » C’était il faut l’avouer, une audace singulière de présenter un culte, dont on voulait faire un ennemi public, comme une sorte de bienfaiteur de l’empire.

Par malheur, la situation, quelques années plus tard, n’était plus la même. A partir de la mort de Septime Sévère, les affaires de l’empire se gâtent. Des luttes éclatent à chaque instant entre les ambitieux qui veulent régner ; les princes ne font que paraître sur le trône ; les barbares profitent de cette anarchie pour passer la frontière et arrivent au cœur du pays. Dès lors, l’argument dont Méliton était si heureux de se servir, se retourne contre lui : puisque les chrétiens se sont attribué les victoires de l’empire, quand il était triomphant, il faut bien qu’ils acceptent d’être responsables de ses défaites. De tous côtés, on les accuse des malheurs publics. « Si le Tibre déborde, disait déjà Tertullien, et si le Nil reste dans son lit, si le ciel est trop serein et la terre trop agitée, s’il survient quelque famine ou quelque peste, aussitôt un cri s’élève : Les chrétiens aux lions ! » Sous Dèce et sous Valérien, ce fut bien pis. Ils sont alors l’objet de tant de haine qu’on regarde comme l’intérêt le plus sérieux de l’empire de les anéantir. Les princes, qui jusque-là ne les avaient attaqués que par boutade et sans suite, imaginent un plan régulier de persécution et des combinaisons habiles qui doivent les faire disparaître d’un seul coup. On les poursuit partout à la fois et de la même manière. On confisque leurs biens, on les empêche de se réunir, on les frappe à la tête, c’est-à-dire dans leurs prêtres et leurs évêques, dans les personnages importans qui