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les faiblesses de notre corps. Les fléaux qui vous épuisent et vous torturent, nous les regardons comme des épreuves qui nous fortifient. Nous avons en nous la force de l’espérance, la fermeté de la foi ; au milieu des ruines d’un monde qui s’écroule, notre aine reste droite, notre courage immobile ; nous souffrons tout avec joie, car nous sommes toujours sûrs de notre Dieu. » Ce sont là de belles paroles, quand on songe qu’elles ont été prononcées entre deux persécutions et par un homme qui allait donner sa vie pour sa croyance.


II

Les argumens de saint Cyprien perdirent beaucoup de leur force après la conversion de Constantin. Il n’y avait plus alors de persécution, la plus grande partie du monde romain reconnaissait le vrai Dieu, et pourtant les affaires allaient plus mal que jamais. Du moment que le prince était chrétien, le christianisme semblait devenir plus directement responsable de tout ce qui arrivait à l’empire. Il avait, de plus, commis une imprudence à laquelle échappent rarement les oppositions qui aspirent au pouvoir, celle de promettre beaucoup plus qu’il ne pouvait tenir. Il semblait, à entendre ses docteurs et ses évêques, que le jour où l’empire cesserait d’être païen tous ses maux devaient se dissiper comme par enchantement. Au moment même où Constantin allait paraître, Lactance écrivait : « Si le vrai Dieu était seul honoré, il n’y aurait plus de dissensions ni de guerres. Les hommes seraient unis par les liens d’une charité indissoluble, puisqu’ils se regarderaient tous comme des frères. Personne ne dresserait des pièges pour se défaire de son ennemi ; chacun se contentant de peu, il n’y aurait plus ni fraude, ni larcin ; que la condition des hommes serait heureuse ! Quel âge d’or commencerait pour le monde ! » L’âge d’or ne vint pas ; il ne viendra jamais : c’est un malheur auquel les gens sages sont tout résignés ; ils ont depuis longtemps cessé de l’attendre. Mais on comprend que ceux auxquels on en avait donné le goût par avance et qui y comptaient aient été fort mécontens de voir que la victoire du christianisme n’eût pas sensiblement changé le cours des choses et que tout marchât à peu près du même train qu’autrefois. Beaucoup de chrétiens, trompés dans leurs espérances, se sentirent ébranlés dans leur loi. Leur mécompte fut si grand qu’ils en vinrent à soupçonner qu’on avait tort de prétendre que Dieu se mêlait des affaires du monde. Quant aux païens, ils revenaient de plus belle à leurs anciens reproches, et cette fois les circonstances semblaient tout à fait leur donner raison. Lorsqu’ils