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donner. Pour répondre à ses adversaires, il se contente de tourner contre eux l’argument dont ils se servent : il n’est pas vrai, comme ils le prétendent, que les Romains soient punis parce que quelques-uns d’entre eux ont quitté leurs anciens dieux ; ils le sont au contraire parce que la plupart s’obstinent à ne pas reconnaître le Dieu des chrétiens, qui est le seul véritable ; et la punition est d’autant plus rigoureuse que, non contens de lui refuser un culte, ils persécutent ceux qui l’adorent. À ce propos, saint Cyprien s’élève avec force contre les persécutions. Il attaque l’impudence des hommes qui ne laissent pas Dieu punir lui-même ses offenses. Quand on s’en charge à sa place, on se substitue à lui et on semble le soupçonner d’être impuissant : « Si tes dieux ont quelque pouvoir, dit-il à Demetrianus, qu’ils se lèvent pour se venger, qu’ils viennent défendre leur majesté violée ! Que pourront-ils faire pour ceux qui les prient, s’ils ne peuvent rien pour eux-mêmes ? Puisque celui qui en protège un autre est plus fort que lui, tu es plus fort que tes dieux, et tu ne dois pas les adorer ; ce sont eux, au contraire, qui doivent te rendre hommage. » Prétendre qu’on fait outrage à Dieu quand on prend en main sa querelle, n’est-ce pas affirmer en d’autres termes qu’on ne doit punir personne pour ses croyances ? Tertullien l’avait déjà dit aussi nettement que possible : on voit que saint Cyprien exprime ici la même opinion d’une manière plus détournée ; et, vraisemblablement, toute l’église pensait alors comme eux. C’est l’usage que les religions réclament pour elles la tolérance quand elles sont les plus faibles, et qu’elles ne l’accordent guère aux autres lorsqu’elles ont triomphé.

Ainsi Dieu frappe les Romains pour les punir de persécuter son église. Les supplices raffinés qu’une cruauté ingénieuse invente tous les jours contre les chrétiens ont excité sa colère, et c’est elle qui déchaîne les maux dont souffre l’empire. Mais ici une objection se présente, qui, au premier abord, paraît très grave : pourquoi ces. maux atteignent-ils les chrétiens comme les autres ? N’est-il pas étrange que les victimes et les coupables soient traités de la même façon et que Dieu venge ses fidèles sur eux-mêmes autant que sur leurs bourreaux ? Cyprien répond en montrant que si les peines sont les mêmes pour tous, elles ne produisent pas sur tous les mêmes effets. « Les malheurs de la terre, dit-il, sont un châtiment pour ceux qui ont mis leur gloire et leur joie dans les choses de la terre. Celui-là pleure et gémit au moindre accident qui lui arrive pendant sa vie, qui n’a plus d’espoir après la vie. Au contraire, il n’y a ni joie ni douleur ici-bas, quand on craint les douleurs et qu’on espère les joies de l’autre monde. Nous qui vivons par l’esprit plus que par la chair, nous employons la vigueur de notre âme à vaincre