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Nouveau-Monde affranchi de l’ancien, attirant à lui par l’appât des salaires élevés, des terres vacantes, des institutions libres, un irrésistible courant d’émigration ; le cours des siècles anticipé, l’axe du monde déplacé par une évolution brusque, transféré d’un continent dans l’autre.

Depuis longtemps. James G. Blaine caressait ce rêve ; à sa réalisation il avait consacré tous ses efforts, voué sa vie politique. « Un moment il s’était cru sur le point de réussir, quand, en 1881, Garfield, élu président, l’avait appelé au poste de secrétaire d’état. Il touchait au but. Désireux de ne révéler que peu à peu le plan qu’il avait conçu, d’éviter de donner l’éveil à l’Europe et de soulever d’intempestives controverses, il soumit à la signature du président un projet de congrès de la paix ayant en vue de prévenir les guerres sur le continent américain au moyen de l’arbitrage. Ce congrès pacifique n’était pour alarmer aucun intérêt ; on le convoqua à se réunir le 15 mai 1882 à Washington. La mort tragique du président Garfield, en septembre 1881, mit à néant les espérances de M. Blaine. Son successeur, M. Frelinghuysen, ordonna le retrait des invitations déjà lancées, et le projet fut abandonné.

Si imprévu que fût alors le coup qui le frappait, James Blaine n’avait pas perdu courage, et si, depuis, on l’a vu disputer la présidence à Cleveland, battu, y renoncer pour son propre compte et y pousser M. Harrison, ambitionner le second rang et ressaisir le pouvoir, c’est qu’à tout prix il entendait mener à bien son œuvre, réaliser sa gigantesque conception. L’heure était venue : le trésor regorgeait de numéraire, les docks de marchandises, les entrepôts de blé. L’homme apparaissait : i ralliés autour de Blaine, dont le succès devait ajouter des millions à leurs millions, les plus puissans capitalistes des États-Unis l’encourageaient à oser. Depuis dix ans, il mûrissait ses plans ; il avait quatre années pour agir. C’était suffisant ; mais, fallût-il davantage, on aviserait, et de fait on avisait déjà.

Dès le lendemain de la nomination de M. Harrison, le public non initié à ce qui se préparait vit avec surprise la presse républicaine ouvrir, avec un remarquable ensemble, une campagne inattendue, énumérant les pertes énormes que faisaient subir au pays des élections présidentielles se renouvelant tous les quatre ans. Ces pertes, on les chiffrait, et les hommes les plus compétens les évaluaient à deux milliards et demi. C’était, affirmaient-ils, ce qu’avait coûté aux États-Unis la dernière lutte électorale ; les journaux démocratiques ne contestaient pas ce total énorme, les plus autorisés l’acceptaient[1]. Les money kings, les rois de l’argent :

  1. Voyez le New-York Herald du 14 novembre 1888.