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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/496

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qu’on ne s’y engage pas[1]. » Il avait mieux fait « que de s’engager dans une affaire ; » il avait sauvé son armée, et, au moment même où le ministre semblait gourmander son insouciance, il prolongeait la résistance de Condé par un ravitaillement des plus hardis. « Il n’y a guère au monde que le maréchal de Turenne, qui, en présence des ennemis beaucoup plus forts que lui, fît un détachement aussi considérable. Il faut bien posséder la guerre pour en user ainsi, et ce sont là des coups de maître[2]. » Puis il s’enfonce en Artois et menace Saint-Venant sur la Lys. Il gagne ainsi du temps pour recevoir du renfort, tient les ennemis troublés, incertains sur ses projets, les attire au milieu des places françaises ; là peut-être la fortune lui offrira la chance d’un combat avantageux. Du Passage venait de rendre la place de Condé après une bonne défense (17 août) ; la capitulation sauvait ses troupes, mais lui imposait une promenade dans le Luxembourg qui devait le tenir longtemps éloigné de l’armée. C’est tout ce que désirait M. le Prince. Il entraine aussitôt les Espagnols sur les traces de Turenne.

Pour suivre les deux capitaines, il faudrait tomber dans les redites, refaire le tableau que nous avons déjà tracé. Devant Lens, Turenne se dégage par une manœuvre habile et refuse un combat qui s’annonce dans de mauvaises conditions. Près d’Houdain, serré de près par Condé, il n’a que le temps de saisir une position au vol, mais s’y retranche lentement, « en maintenant ses troupes dans le calme. » Une autre fois, le maréchal « eût bien poussé l’arrière-garde des alliés, si M. le Prince n’eût tracé sur notre flanc gauche un mouvement offensif qui donna jalousie. » Ainsi, en mainte occasion, les antagonistes se retrouvent, et, malgré l’aigreur de leur différend, se respectent et se reconnaissent toujours. Ah ! si les deux capitaines, délivrés de toute entrave, avaient toujours été libres d’attaquer, parer, riposter à leur guise, quel intérêt nouveau s’ajouterait à l’étude de cette guerre qui a fixé l’attention de Napoléon, qu’il n’a pas dédaigné de raconter et de critiquer !

Les Espagnols, renonçant à tenir la campagne et entraînant Condé comme toujours, remontent en Hainaut pour reprendre Saint-Ghislain aux Français. Le cardinal recommence ses instances auprès de Turenne ; mais celui-ci ne s’en trouble pas : « Condé et Saint-Ghislain sont situés de façon qu’on ne peut les conserver après avoir manqué Valenciennes. Condé est pris ; on ne pourra sauver Saint-Ghislain ! » La fortune fut moins favorable aux alliés

  1. 31 juillet. (Affaires étrangères.)
  2. Mémoires de Bussy.