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ou piller des villes tout le long de notre frontière. L’occasion semble favorable : les dernières mesures prises par don Juan ont réduit la garnison à un chiffre misérable ; Turenne se croit assuré d’un prompt succès. Nul coup ne pourrait atteindre plus directement le gouvernement des Pays-Bas.

Resté d’abord près de Saint-Ghislain pour veiller sur la conquête que l’Espagne lui devait et pour refaire sa cavalerie, constant objet de ses soins, M. le Prince s’acheminait tristement, avec ses 4,500 chevaux, vers le rendez-vous donné à ce qui restait de l’armée active. Il venait d’arriver à Boussu (29 mai), lorsqu’un message de Druhot, gouverneur de Bouchain, lui apprit l’investissement de Cambrai. Aussitôt on sonne à cheval, et toute cette cavalerie repart, traverse Valenciennes et, d’une traite, arrive le soir même à Bouchain. Là, M. le Prince questionne, s’éclaire ; les renseignemens du gouverneur sont précis : Turenne est établi devant la place investie avec sa cavalerie, face à Bouchain ; son canon arrive ; tout autour des murailles, l’infanterie remue de la terre ; après-demain, demain peut-être, l’assaillant sera logé sur la contrescarpe ; Cambrai est perdu ! Cependant, avec grande diligence, beaucoup d’audace, on pourrait tenter le secours ; mais c’est une opération bien hasardeuse, pleine de risques, « auxquels Son Altesse Sérénissime ne saurait s’exposer. — Non, Son Altesse Sérénissime ne s’exposera pas, répond M. le Prince en goguenardant ; mais avant vingt-quatre heures, M. le gouverneur de Bouchain apprendra que M. le Prince a perdu un grand combat ou que Cambrai est secouru. Allons ! il me faut un bon guide. »

Pendant qu’on cherche le guide et que les chevaux soufflent, M. le Prince, avec Druhot et deux ou trois officiers, pousse une pointe dans la direction de Cambrai, reconnaît les postes ennemis et rentre après s’être assuré de l’exactitude des rapports qu’il a reçus.

Au confluent de la Sensée et de l’Escaut, la petite place de Bouchain tient la clef des écluses, et, pour le maniement des inondations, joue au-dessus de Valenciennes le même rôle que Condé au-dessous. Cambrai est à quatre lieues en amont. La grande route, couronnant un coteau de faible relief, suit la rive droite de l’Escaut, à 1,200 mètres (en moyenne) du lit de la rivière ; près de Cambrai, en face de Pont-d’Aire, l’écart est réduit à 600 mètres. Toute cette zone comprise entre la rivière et la route est marécageuse, semée de bouquets de bois, coupée par de petites chaussées. C’est au travers de ce fouillis de broussailles et de flaques d’eau, par les sentiers et les passerelles, que Condé comptait mener sa cavalerie jusqu’aux murs de Cambrai.