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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/567

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conceptions. Les meubles sont de choix, nulle part je n’ai aperçu un morceau de bois blanc ; partout du chêne plein, pour les bancs, pour les tables, pour les sièges, pour les armoires ; grosse dépense, j’en conviens, mais plus forte économie encore, lorsque les matériaux employés sont de trempe si résistante qu’ils défient l’action du temps. C’est du luxe solide, sans mièvreries ni futilités ; là tout est utile, et la sobriété de l’ornement semble y apporter quelque chose de vigoureux.

Dans la pharmacie plane un parfum de sauge et de fleur de tilleul. C’est le domaine d’une sœur qui compose les lochs, roule les pilules et prépare les tisanes ; elle est gaie, avec un beau sourire et des yeux magnifiques. Elle est bonne dentiste, en outre, et manie avec adresse ces instrumens de torture que l’on nomme la clé de Garengeot et les daviers. Je crois bien que les vieilles pensionnaires rôdent souvent autour de ses jupes dans l’espoir d’attraper quelque sucre d’orge sous prétexte de toux chronique et de catarrhe invétéré. Elle ne doit pas être trop sévère, car la gourmandise réduite à de si minces proportions n’est plus un péché capital. La lingerie est à faire damner d’envie les ménagères de province, qui disent en se rengorgeant : « Mon seul luxe, c’est le linge. » Là, dans cette immense salle garnie de casiers et munies de tables, on n’aperçoit que de la toile, de la bonne et belle toile de Vimoutiers, forte, souple, et ne redoutant ni l’usage ni la lessive ; les vieillards ont parfois quelque peine à s’y accoutumer, ils préféreraient le coton, qui est plus mol au toucher et plus chaud ; ils ont importé à l’hospice le mot de l’argot parisien, et pour eux la chemise, c’est « la limace. » La provision de linge est telle qu’il se passera bien des années avant que l’on soit obligé de la renouveler. Les yeux de la supérieure brillaient de joie pendant qu’elle me le montrait et m’en faisait remarquer l’abondance. Le blanchissage se fait dans une buanderie à vapeur énorme, isolée en un pavillon spécial, aménagée selon les ressources les plus récentes de la science industrielle, épargnant les forces des ouvrières, coûteuse assurément, mais payant son prix par les services qu’elle rend, car non seulement elle reçoit le linge de l’hospice, mais celui de la maison de retraite et de l’orphelinat Saint-Philippe, qui sont à Fleury-sous-Meudon, où je vais conduire le lecteur.


III. — LA MAISON DE RETRAITE.

Pour mettre à exécution ses projets de bienfaisance, la duchesse de Galliera acheta l’ancien domaine Pastoret, qui occupe, sous