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Coittant, épicurien et libre-penseur. En revanche, le 4 prairial, fête de l’Être suprême, hymnes patriotiques, prières chantées par les dames, danses, chœurs, Marseillaise, vers de Guillaume Tell déclamés par Larive. Il y eut même une prison où les détenus sollicitèrent la permission de planter dans la cour un arbre de la liberté, et le concierge dut leur faire observer que l’endroit ne semblait guère propice à une telle cérémonie : peut-être voulaient-ils planter l’arbre de la liberté pour en avoir l’ombre. Concerts et fêtes durent se passer de musique instrumentale, car la Commune proscrivit impitoyablement violons, violes d’amour, basses et quintes ; les cris de la populace hurlant autour des victimes qu’on entraîne en prison, ou qui en sortent pour mettre leurs têtes à la lunette de l’éternité, voilà sans doute la musique qu’elle leur réservait.

On trompait par d’autres moyens l’inquiétude et l’ennui : par exemple, la manie de tirer les cartes devient au Plessis l’occupation de bien des prisonnières. Une vieille porteuse d’eau avait conquis la vogue et tenait ses assises dans un corridor obscur, une planche appuyée sur deux chaises lui servant de tréteau. Survient une jeune femme qui lui lance ce défi : « Voyons si tu es aussi habile que moi ; point d’amour, de mariage, ni d’argent ; les ci-devant rois seront des accusateurs publics, les reines de bonnes républicaines, le neuf de pique l’échafaud. Tire les cartes pour toi, je les expliquerai. » Et elle jette sur la table une pièce de 5 francs. La porteuse d’eau se trouble, hésite, enfin elle se décide, retourne le neuf et l’as de pique : « Eh bien ! que dis-tu de cette accolade ? Tu pâlis ! Ce soir au tribunal, demain guillotinée. » Le hasard ayant confirmé cette prédiction, la divination par les cartes eut plus d’adeptes que jamais.

L’art de la miniature était fort en honneur dans les salons de la Terreur, et, moyennant finances, les guichetiers consentaient à transmettre aux parens un portrait, un médaillon. Roucher, l’auteur de ce Poème des Saisons que Rivarol appela le plus beau naufrage du siècle, Roucher envoie aux siens un portrait peint par Leroy, avec ces quatre vers :


Ne vous étonner pas, objets charmans et doux,
Si quelque air de tristesse obscurcit mon visage ;
Lorsqu’un savant crayon dessinait cette image,
On dressait l’échafaud et je pensais à vous.


Le portrait de M. de Broglie venait d’être terminé, lorsqu’il reçut la nouvelle qu’il serait exécuté dans deux heures. Vigée était chez lui et lisait ses ouvrages ; il tira sa montre et dit : « L’heure approche, je ne sais si j’aurai le temps de vous entendre jusqu’à la