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accroître l’admiration de ses amis, à dissiper les préventions de ses adversaires. Elle donnait du courage à tous, elle parfumait la prison de son stoïcisme aimable, de son génie attendri, et, comme si elle eut possédé le don des miracles, sa présence dans la cour, au milieu de femmes perdues, rappelait le bon ordre, sa voix apaisait leur tumulte ; il y a des mots, dits par certaines personnes, qui sont des bienfaits. Parfois, cependant, son sexe reprenait le dessus, et la femme qui la servait dit un jour à Riouffe : « Devant vous elle rassemble toutes ses forces, mais dans sa chambre elle reste quelquefois trois heures appuyée sur sa fenêtre à pleurer. » Même en prison, Mme Roland n’abdique rien de ses utopies, de ses haines. Comme elle attaquait avec véhémence Louis XVI, son interlocuteur la rappela aux égards dus au malheur, vanta le courage du roi devant la mort : « Fort bien, reprit-elle, il a été assez beau sur l’échafaud ; mais il ne faut pas lui en savoir gré, les rois sont élevés dès l’enfance à la représentation. » Le jour où elle comparut devant le tribunal, elle s’habilla avec une sorte de recherche : une anglaise de mousseline blonde, rattachée avec une ceinture de velours noir, un bonnet-chapeau d’une élégante simplicité, ses longs cheveux noirs flottans sur ses épaules ; le sourire aux lèvres, elle adressait des recommandations touchantes aux femmes qui se pressaient pour baiser sa main. Un vieux geôlier vint lui ouvrir la grille en pleurant. On sait comment elle marcha au supplice ; sur la charrette, au pied même de l’échafaud, elle consolait son compagnon.

Ils n’oseraient ! s’exclama Danton[1], lorsqu’on l’avertit des trames ourdies contre lui par Robespierre et Saint-Just. Ils osèrent. Quant à lui, il s’était vanté de porter dans son caractère une bonne portion de la gaîté française, et il tint parole. En arrivant, il dit aux détenus du Luxembourg : « Messieurs, je comptais bientôt pouvoir vous faire sortir d’ici ; mais, malheureusement, m’y voilà renfermé avec vous, je ne sais plus quel sera le terme de tout ceci. » Puis, un instant après : « Quand les hommes font des sottises, il faut savoir en rire ; .. je vous plains tous ; si la raison ne revient pas promptement, vous n’avez encore vu que des roses. » Rencontrant Thomas Payne, il lui souhaita le bonjour en anglais, ajoutant : « Ce que tu as fait pour le bonheur et la liberté de ton pays, j’ai en vain essayé de le faire pour le mien ; j’ai été moins heureux, mais non pas plus coupable… On m’envoie à l’échafaud ; eh bien ! j’irai gaîment… »

  1. Camille Desmoulins et les Dantonistes, par Jules Claretie, de l’Académie française, 1 vol. in-8o ; Plon.