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de Colbert de Maulevrier, Antié dit Léonard, coiffeur de Marie-Antoinette, le prêtre Meynier, le chimiste Séguin, le baron Trenck, le capitaine Leguay, Msr de Saint-Simon, évêque d’Agde, comtesse de Périgord, marquis de Roquelaure. La scène se passe dans une salle basse de la Conciergerie : à chaque nom qui tombe, une grille s’ouvre dans le fond, donnant passage au malheureux qu’attend la bière des vivans, le tombereau. Herman, président des commissions populaires, et Verner, escortés de guichetiers, d’hommes à piques, procèdent avec calme à leur besogne : un geôlier, le bras tendu, désigne celui qu’on vient d’appeler, tandis qu’un sectionnaire, à la figure férocement indifférente, agite sans façon son pied nu hors du sabot. Tout près du poète Roucher, au premier plan, sur une chaise de paille, absorbé dans une rêverie profonde, André Chénier, la tête appuyée sur la main droite ; il tient de l’autre main des tablettes, et de ces tablettes semblent s’échapper ces beaux vers :


… Avant que de ses deux moitiés
Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être, en ces murs effrayés,
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d’infâmes soldats,
Remplira de mon nom ces longs corridors sombres…


Cette page si dramatique présente toutefois deux défauts graves. L’artiste a calomnié ses personnages : la plupart manquent de grandeur, semblent n’éprouver qu’un même sentiment, l’épouvante. Et puisque Müller a voulu donner en quelque sorte la synthèse de la Terreur, sans s’asservir aux proportions exactes de l’histoire, pourquoi n’a-t-il mis sur sa toile que des royalistes ou des modérés, pourquoi avoir fait une place si mince aux autres partis vaincus tour à tour, pourquoi surtout cette absence des classes populaires, des ouvriers, des paysans, qui, plus largement que les autres, versèrent leur sang sur l’échafaud ?


VICTOR DU BLED.