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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/655

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Robespierre pouvait-profiter de cette bonne fortune, faire contre la Convention un nouveau 31 mai, continuer la Terreur. Il ne sut point, et le secret de l’empire fut divulgué ! Le lendemain matin, en dépit des guichetiers, quelques prisonniers montent sur les toits et aperçoivent une foule d’hommes, de femmes, qui, du haut des cheminées, des mansardes, multiplient les signaux de délivrance. Pour célébrer la chute du tyran certains montrent une robe, puis une pierre, et font signe qu’il est décapité. En effet, il monte à l’échafaud, et avec lui une partie de ses complices : « le concierge flûta sa voix, sa femme miella la sienne, » le sang des innocens cessa de couler, et, après une longue éclipse, les mots de justice, d’humanité, retrouvèrent un peu d’écho. Legendre, ami de Danton, régicide, s’écriait avec emphase : « J’ouvrirais mes entrailles, si elles recelaient des prisonniers. » Dans la ville, et les prisons, on spécula sur l’obtention des mises en liberté, comme on trafiquait déjà sur les mandats d’arrêt, les passeports et les ajournemens de mise en accusation. Un gardien, ci-devant valet de chambre de la duchesse de Narbonne, disait avec une sorte d’importance à Mme de Bohm : » Employez-moi pour sortir promptement d’ici, je suis l’intime d’un membre du comité général[1]. »

Au Salon de peinture de 1851, on remarqua beaucoup le tableau de Müller : l’Appel des condamnés. Dans cette vaste composition, moitié historique, moitié symbolique, figurent quelques-unes des victimes du 7 au 9 thermidor : marquis de Montalembert, princesse de Monaco, Rougeot de Montcrif, M.-C. Lepelletier, Puy de Vérinne et sa femme, Aucanne, ancien maître des comptes, Mme Leray, de la Comédie Française, comtesse de Narbonne-Pelet, marquise

  1. . Les 10, 11 et 12 thermidor, 103 condamnations à mort par suite de mises hors la loi ; du 24 thermidor an II au 28 frimaire an III (du 11 août au 15 décembre 1794). 46 condamnations à mort et 837 acquittemens ou mises en liberté ; du 8 pluviôse au 28 floréal an III (27 janvier au 17 mai 1795), 17 condamnations à mort et 54 acquittemens. Et voici le bilan de l’assassinat juridique par le seul tribunal révolutionnaire de Paris avant le 9 thermidor : du 6 avril 1793 au 22 prairial an II, 2,358 accusés, 1,259 condamnations à mort ; du 22 prairial au 9 thermidor an II, 1,703 accusés, 1,366 condamnations à mort. A Paris, on arriva au chiffre de 7,500 détenus politiques. La province n’est pas moins décimée : Carrier, Couthon, Lequinio, Lebon, Tallien, Albitte, Rovère, Collot d’Herbois, Javogues, etc., exécutent les décrets de la Convention, font pénétrer la terreur, portent la mort dans les villes et les hameaux. Sans parler des autres moyens de tuer, des mariages républicains de Carrier, des mitraillades de Lyon, 12,000 personnes environ à Paris et dans les départemens passent leurs têtes à la lunette de l’éternité ; parmi elles : 3,871 paysans, 2,212 ouvriers, 1,273 bourgeois, 767 prêtres, 715 soldats, 718 filles (servantes, couturières), 639 nobles ou émigrés, 585 avocats, procureurs, huissiers, 559 négocians, 156 domestiques et cabaretiers, 76 médecins, 73 matelots, 49 instituteurs, 46 littérateurs, 21 comédiens. Ces chiffres ont leur éloquence.