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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/675

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longtemps déjà qu’ils ne se battent plus pour leur compte. Ce n’est pas avec des phrases qu’on parviendra à supprimer l’esclavage. Ouvrons aux peuples de l’Afrique des débouchés et des routes sûres, donnons-leur ainsi le moyen de mettre leur pays en valeur, d’écouler leurs marchandises, de développer Leur industrie, et possédant, d’autres sources de richesse, ils ne feront plus la chasse à l’homme. »

Quoique le capitaine Binger ne soit pas un philanthrope de profession, c’est en ami des hommes que ce voyageur de commerce a parcouru la boucle du Niger, un rameau d’olivier à la main, et il s’en est bien trouvé. Des bruits fâcheux avaient couru sur lui ; les uns le croyaient mort, d’autres le disaient en détresse et prisonnier. Son absence se prolongeant, au-delà, de toute prévision, on organisa une mission de secours destinée à lui porter un ravitaillement en marchandises et à faciliter son retour. M. Verdier, armateur à La Rochelle, qui possède des comptoirs à la côte, prit l’initiative de l’expédition. M. Treich-Laplène, qui la commandait, n’ayant recueilli dans le Bondoukou que de vagues informations, se décida à pousser jusqu’à Kong. Quand à son tour le capitaine arriva à Bondoukou, il résolut de retourner à Kong pour y chercher le Français qui venait à son secours. Son dernier cheval venait de mourir. Il fit la route à pied, et marcha d’un si bon pas qu’il accomplit en onze jours un trajet qui d’habitude en demande dix-neuf. La famille régnante et la population l’accueillirent en » vieille connaissance ; on l’entoura, on le félicita, on lui fit fête. Peu après, il signait avec Karamokho-Oulé un traité qui plaçait ses états sous notre protectorat et autorisait nos missionnaires et nos marchands à s’établir dans le pays. Ce traité, joint à celui que, quelques mois auparavant, le capitaine Septans avait signé à Bammako avec le roi Tiéba et au pacte conclu par M. Treich-Laplène avec le Bondoukou, reliait nos établissemens du Haut-Niger à nos possessions de la Côte d’Or.

S’il est beau d’aller à Kong, il est encore plus beau de pouvoir y retourner et d’y être bien reçu. La première question qu’on devrait adresser aux explorateurs de l’Afrique est celle-ci : « Pouvez-vous retourner dans les endroits où vous êtes allés ? Les chemins où vous avez passe sont-ils restés ouverts ? N’y a-t-il pas dans quelque village que vous avez traversé une mare de sang qui crie contre vous ? » Nécessité n’a pas de loi, et il faut admirer les exploits des violens ; mais il est permis d’admirer davantage les prouesses d’un débonnaire qui vend aux noirs du calicot et de la dentelle défraîchie et ne tue personne. On peut lui appliquer le mot de l’évangile : « Bénis soient les pieds de ceux qui apportent la paix ! » Quand cet homme de paix est un soldat, son héroïque douceur n’en est que plus méritoire, et ce n’est pas le moindre titre qu’eût le capitaine Binger à la haute récompense, que vient de lui-décerner la Société de géographie.


G. VALBERT.