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plupart des marchés s’y règlent en or ou en cauris, l’échange direct y subsiste encore pour les achats de chevaux, qui d’habitude sont payés en captifs. Le Yatenga produit une belle race chevaline ; ces admirables bêtes ont chacune leur palefrenier qui les soigne, les étrille, les bouchonne, les bourre de graminées et leur fait lécher le sel dans sa main. Il est douloureux de penser que, pour acheter un de ces chevaux, il faut donner plus d’un homme.

Mais il y a chez tous les peuples de bienfaisantes contradictions, et les principes sont souvent corrigés par les mœurs. Xénophon disait que de son temps il était impossible, en parcourant les rues d’Athènes, de distinguer un esclave d’un homme libre ; il en est de même à Kong. Une notable partie de la population se recrute parmi les descendans de prisonniers de guerre achetés jadis à vil prix ; ce sont des fils d’esclaves à qui leur chaîne pèse si peu qu’ils ne songent pas à la rompre. Beaucoup sont affranchis de fait ; et, quand ils rencontrent leurs patrons, ils ne sont tenus que de témoigner par leurs déférences qu’ils se souviennent encore de les avoir servis. — « Va m’acheter des kolas, disait un de ces anciens patrons à un de ces captifs qui ne servent plus. — Non, je n’ai pas le temps. — Mais souviens-toi que tu es mon captif, » repartit l’autre en riant. Le captif se mit à rire aussi. « Au fait, tu as raison. » Et il courut acheter les kolas. Le Coran enseigne que, lorsqu’un esclave demande son affranchissement par écrit, son maître doit accueillir sa requête, en lui donnant quelque chose pour l’aider à s’établir. Cela signifie : « Quand ton esclave saura lire et écrire, tu en concluras qu’il est devenu l’un des disciples du livre de vie et du prophète qui l’a écrit ; et, s’il veut être libre, qu’il le soit ! Tous les musulmans sont égaux. »

Le capitaine Binger s’emploierait de grand cœur à la suppression de l’esclavage ; mais il se défie beaucoup des gouvernemens abolitionnistes, de leurs calculs intéressés, de leurs secrètes convoitises, et il estime que les croisades qu’on nous prêche ou avorteraient misérablement, ou feraient plus de mal que de bien. En matière d’abolition, il ne croit qu’aux moyens indirects, et il pense que le plus efficace de tous est le développement du commerce. « Pourquoi les chefs d’états noirs font-ils la guerre à leurs voisins ? me disait-il. Pour se procurer des captifs. Et pourquoi leur faut-il des captifs ? Parce qu’ils n’ont pas de budget et que les esclaves qu’ils vendent ou qu’ils donnent sont la seule ressource dont ils disposent pour remplir leur caisse ou pour récompenser le zèle de leurs plus dévoués serviteurs. Procurez-leur d’autres revenus, ils vous en seront fort obligés. J’ai constaté partout dans mon voyage que les pays les plus commerçans sont aussi les plus pacifiques. Quand on se bat sur leurs frontières, les Kongais, qui ont l’esprit commercial, font de bonnes affaires en vendant aux belligérans de la poudre, des armes, ou des provisions de bouche ; mais il y a