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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/678

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ne nommerons pas. En musique comme en littérature, il y a donc des idées, et M. Grieg en a beaucoup.

Les dessins mélodiques créés par son imagination sont élégans, originaux, souvent mélancoliques et passionnés. L’inspiration de M. Grieg a presque toujours un parfum exotique très prononcé. Ceux qui connaissent les pays Scandinaves y retrouvent, et les autres y devinent des échos de mélodies populaires qui donnent à cette musique de la couleur, du cachet, une grande spontanéité, avec un charme mystérieux. Des musiciens du Nord que nous commençons à étudier, M. Grieg jusqu’ici nous paraît le plus sincère et le plus naturel. S’il n’a pas, comme on dit, le métier d’un Tschaikowsky, les ambitions symphoniques et instrumentales des Rimsky-Korsakow et autres, il a encore moins les défauts, ou plutôt les excès qui nous gâtent plus d’une œuvre russe. Il possède beaucoup plus que les musiciens de Pétersbourg le sentiment de la composition, des proportions et de l’ordre. Ce n’est pas la prolixité qu’on peut lui reprocher, mais au contraire la brièveté ou l’absence même des développemens. Chez lui, le motif est souvent très court et seulement exposé. M. Grieg a des idées charmantes ; il leur sourit, les arrête au passage et puis les laisse passer. Est-ce paresse, est-ce faiblesse, je ne sais, mais son talent semble fait d’imagination plus que de réflexion.

Aussi M. Grieg n’est-il que par exception un musicien de symphonie et d’orchestre. Au catalogue de ses compositions, le mot symphonie ne figure pas, et son orchestre est loin, très loin de l’orchestre, non-seulement d’un Wagner, mais des Brahms, des Saint-Saëns, des Lalo ou des d’Indy. Pourtant, si habitué qu’on soit maintenant à des œuvres travaillées, voire laborieuses, surtout et de plus en plus polyphoniques, peut-être à cause de cette habitude, on prend un plaisir extrême à la musique discrète et naturelle de M. Grieg. Naturelle, voilà le mot qui la caractérise le mieux ; à l’entendre après toute autre, fût-ce après celle des contemporains que nous admirons le plus, on éprouve un peu cette impression particulière de fraîcheur et de détente, jouissance de l’esprit moins que du cœur, que nous cause la nature et que les œuvres humaines ne savent pas toutes nous donner.

M. Grieg a composé pour le piano, à deux et à quatre mains, de nombreuses et charmantes pièces : airs et danses populaires, humoresques, morceaux lyriques, esquisses de paysages et de scènes locales. Dans un de ces recueils se trouvent notamment la Noce norvégienne, dont la transcription pour violon, exécutée par des virtuoses distingués, apprit jadis à l’Europe le nom de M. Grieg ; puis certain thème national, dont M. Lalo a fait l’allegro de sa brillante Rapsodie norvégienne. Tout cela est court, mais très caractéristique, écrit avec autant d’originalité que d’élégance. Les œuvres les plus développées pour piano seul ou accompagné sont : une sonate, une ballade, trois sonates avec violon et un concerto.