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artistes ajouteront : « Surtout lorsqu’il brûle ; » et je terminerais sur cette conclusion, si M. Taine, dans son Histoire de la littérature anglaise, n’avait ainsi terminé l’étude qu’il consacre à cet autre fou de génie, l’auteur des Voyages de Gulliver, ce Swift, dont Rousseau n’a pas eu l’ironie, mais dont son éloquence a pourtant plus d’une fois rappelé la méprisante invective.

Est-ce donc à dire, comme on l’a prétendu, comme le soutenait tout récemment encore le professeur Lombroso « qu’entre la physiologie de l’homme de génie et la pathologie de l’aliéné il existe de nombreux points de coïncidence ? » A quoi je répondrai qu’il faudrait peut-être examiner d’abord si « les points de coïncidence » ne sont pas plus nombreux encore entre la pathologie des aliénés et la physiologie des imbéciles. Après cela, puisque le talent ne préserve pas de la petite vérole, ou le génie de la tuberculose, pourquoi voudrait-on qu’ils nous missent à l’abri de la folie ; ou pourquoi, dans un même homme, qu’ils ne pussent coexister avec elle ? Je vais plus loin ; et dans le cas particulier de Rousseau, je ne craindrai pas, sinon précisément de confondre le génie avec la folie, mais de rendre au moins la qualité de son génie solidaire de l’exaltation qui devait un jour le conduire à la folie. Car enfin, si l’on raisonne bien, qu’en résultera-t-il ? Que le génie et la folie ne sont qu’une même chose ? Oui, si le plus grand éclat du génie coïncidait toujours avec le paroxysme de l’exaltation morbide ; — oui, si pour quelques cas, comme ceux de Rousseau, de Swift ou du Tasse, il n’y en avait pas vingt, comme ceux d’Arioste, ou d’Addison, ou de Voltaire ; — et oui, si généralement, le génie consistant, par définition même, en ce qu’il a d’unique, il n’était pas toujours incomparable, indéfinissable, incommensurable.


F. BRUNETIERE.