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bonne mémoire, en la léguant à Mlle Carline, une bonne fille, qui dépense, nous dit-on, 150 ou 200,000 francs par an ; — et qui les gagne. Pour quelles raisons, d’ailleurs, on a cru devoir nous montrer Mlle Carline, et par occasion Mlle Adèle, son inséparable, qui ne font rien à la pièce, qui n’y reparaissent même pas, c’est ce que je n’ai pas bien compris… Il faudrait se défier d’un procédé trop facile qui consiste à nous prendre par les yeux ; à mettre dans la disposition d’un appartement la « psychologie » d’une situation, le caractère d’une femme dans la coupe de sa robe ; et à transporter ainsi, de l’auteur dramatique à la couturière et au tapissier toute une partie de l’art. Un mobilier n’est pas un « état d’âme ; » et pour m’avoir montré Mlle Carline et Mlle Adèle, on ne m’a point fait connaître M. de Boisvillette, — ni Margot.

Quoiqu’il en soit, touché d’une compassion où la sentimentalité du viveur qui vieillit se mêle vaguement aux calculs secrets de l’homme de plaisir, Boisvillette propose à Margot de la remettre dans le bon chemin. Elle a été élevée à la campagne, au milieu des canards et des poules, dont elle garde un souvenir attendri ; on l’y renverra donc, et on l’installera chez M. de Boisvillette, en sa maison d’Émerainville. Elle y réformera son orthographe, qui laisse encore à désirer ; elle y complétera son éducation, qui semble avoir été sommaire ; elle y respirera l’air de l’honnêteté avec celui de la campagne. Et alors,.. plus tard,.. quand elle sera vraiment une « demoiselle, » Boisvillette, complétant son œuvre, lui cherchera un bon garçon qu’elle épousera « pour de vrai, » comme il convient à une honnête fille. C’est le premier acte ; — où d’abord nous ne démêlons pas bien les intentions de M. de Boisvillette : si c’est une généreuse expérience qu’il tente ou un vilain calcul qu’il fait, ni si c’est à lui-même, Boisvillette, ou si c’est à Margot que l’auteur a prétendu nous intéresser. Est-ce la Souris ? ou, puisqu’on l’a dit, est-ce l’École des Femmes ? Et la pièce va-t-elle rouler sur les dernières amours de ce quinquagénaire ? ou s’agit-il de savoir si Margot se sauvera du vice ? M. Meilhac s’en tire par un moyen de vaudeville. « Si j’étais psychologue, dit à peu près Boisvillette, je serais curieux de savoir ce qui se passe dans mon cœur. » Et on applaudit, parce qu’en ce moment rien n’est si « parisien » que de se moquer de la « psychologie, » comme on se moquait hier du « pessimisme, — sans le comprendre, ni le connaître. Mais il vaudrait peut-être mieux qu’on le fût soi-même, « psychologue », et que l’on n’escamotât pas dans un éclat de rire les explications dont on a bien vu la nécessité, puisqu’on nous la signale, mais qu’on n’a pas cru devoir nous donner.

Ce n’est pas, à vrai dire, que ni l’un ni l’autre des deux sujets entre lesquels M. Meilhac semble avoir hésité soit de lui-même fort intéressant. Non ; ce n’est pas une grosse question que de savoir si les quinquagénaires se feront aimer des fillettes ; et, vous sentez-vous beaucoup