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discuter les demi-concessions de l’Espagne, soit pour écarter les exigences du cabinet piémontais, on entrait dans une nouvelle phase de pourparlers qui se prolongerait assurément au-delà du terme fixé. Dès lors, que faire, à cette date du 1er mars qui approchait, de l’armistice qu’on venait de signer ? Pouvait-on le déchirer, quand l’encre était encore toute fraîche ? Fallait-il y donner cours devant une situation redevenue aussi incertaine que jamais ? C’est sur quoi un très vif débat s’éleva de nouveau entre le marquis d’Argenson et le comte son frère : le marquis soutenait que la publication, loin d’être nuisible, aurait l’avantage de compromettre le roi de Sardaigne, et, suivant son expression, d’embarquer l’affaire, en déclarant Sa Majesté sarde en pleine défection avec ses alliés. Le comte répondait que, comme il fallait bien que le roi de Sardaigne trahît quelqu’un en cette occasion, on ne pouvait savoir d’avance si c’était à ses anciens ou à ses nouveaux alliés qu’il comptait fausser compagnie, et que le plus sûr était de se mettre en garde à tout événement pour n’être pas le jouet de ses artifices, et il montrait sans peine le danger qu’un désarmement précipité ferait courir à l’armée française : « Nous en répondrions sur nos têtes, » s’écriait-il. Le marquis était obligé alors de confesser son incapacité complète dans les arrangemens de guerre, et d’ailleurs, il avoue lui-même qu’entre tant de prétentions et d’intérêts divers à concilier sur trois théâtres différens, son trouble était extrême : « La délicatesse et la passion, dit-il quoique part, qui excèdent le sentiment qu’on en devrait avoir, font trembler à chaque pas dans une négociation de ce genre[1]. »

Bref, on finit par se mettre d’accord en n’autorisant le comte de Maillebois à publier l’armistice que sous les trois conditions suivantes : la durée en serait indéfinie et non-seulement de deux mois ; on ferait précéder la publication d’une déclaration renouvelant les engagemens du 26 décembre, et leur donnant ainsi ce qu’ils n’avaient pas encore reçu, un caractère public et irrévocable ; enfin (et c’était le point sur lequel le ministre de la guerre insistait le plus), le blocus de la citadelle d’Alexandrie ne serait pas levé, mais on introduirait seulement dans la place un ravitaillement suffisant pour huit jours, qui serait renouvelé de semaine en semaine jusqu’à l’arrangement définitif : et c’est avec cette quatrième édition d’un même texte révisé, mutilé et complété à tant de reprises, que le comte de Maillebois se mit en route et arriva le dernier jour de février à Briançon, où il devait trouver les laissez-passer nécessaires pour franchir la frontière piémontaise.

  1. Mémoires et Journal, t. IV, p. 298, 299 ; — d’Argenson à Champeaux, 20 février 1746. (Correspondance de Turin. — Ministère des affaires étrangères.)