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d’autant plus grave qu’en définitive, au bout de tout, il s’agit toujours de la paix et de l’avenir de l’Espagne.

Au milieu du mouvement des choses et des deuils qui deviennent des événemens publics, il y a des disparitions soudaines qui nous touchent de plus près. La mort vient de nous enlever, à quelques jours d’intervalle, deux hommes d’élite qui ont été de bons serviteurs pour le pays, et pour nous des amis précieux : M. André Cochut, qui a été longtemps directeur d’une grande administration, et M. Rothan, qui a passé les plus belles années de sa vie au service diplomatique de la France.

M. André Cochut avait avec nous de ces liens qui restent toujours chers. C’était le plus ancien de nos collaborateurs ; il datait des premiers temps de la Revue. Il débutait il y a plus d’un demi-siècle, dès 1836, par des études littéraires. Depuis, la plupart de ses travaux, — et ils se sont succédé presque sans interruption, — ont été consacrés à des questions politiques, sociales, économiques ou financières qu’il connaissait profondément et qu’il traitait en maître. Il savait donner à tout ce qu’il écrivait l’intérêt d’une science solide et d’une forme aussi élégante que précise. C’était un homme d’un esprit rare, d’une dignité simple et de relations aimables, qui ne recherchait jamais le bruit et ne laisse à tous ceux qui l’ont connu que des souvenirs sympathiques avec le regret de l’avoir perdu. — M. Rothan, qui vient d’être emporté en Italie, était un des représentais les plus éminens de notre diplomatie, à laquelle il avait été attaché dès sa jeunesse. Tour à tour secrétaire d’ambassade, consul-général, ministre plénipotentiaire en Allemagne et en Italie, il avait montré dans tous les postes qu’il avait occupés la finesse d’un observateur clairvoyant et l’habileté du négociateur. Il avait rendu les plus sérieux services par la sûreté de ses informations et la prévoyance de ses avertissemens. M. Rothan avait quitté la vie active en 1871, après des événemens qui l’atteignaient deux fois, dans son cœur de Français et dans son cœur d’Alsacien ; mais cette retraite avait été féconde pour lui. C’est alors qu’il avait commencé cette série d’études, de révélations diplomatiques qui ont paru ici même et ont retenti en Europe. Ce galant homme alliait à ses talens la dignité du caractère et la passion des arts. Il semblait avoir encore devant lui bien des années fertiles en intéressantes études : la mort, qui l’a frappé à l’improviste, l’a enlevé à la France qu’il honorait par ses écrits après l’avoir servie par l’action.


CH. DE MAZADE.