Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/776

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis le commencement de l’hiver, la fortune, jusque-là si favorable à l’insurrection jacobite, eût paru visiblement tourner contre elle, — bien que la petite armée du prétendant, perdant chaque jour du terrain, et forcée de se réfugier dans les montagnes d’Ecosse, eût peine à se défendre contre des privations et des souffrances de tout genre, — rien pourtant ne faisait prévoir un si brusque dénoûment. La résistance concentrée dans des hauteurs inaccessibles, au milieu de populations dévouées à la race des Stuarts, pouvait, en se prolongeant pendant bien des mois encore, donner à réfléchir au gouvernement anglais et tenir ses troupes en échec. Ce fut Charles-Edouard lui-même qui, lassé de l’épreuve et de l’attente, désespérant de voir à l’horizon l’escadre tant de fois annoncée qui devait lui amener les secours de l’armée française, se résolut, malgré les conseils de ses partisans, à venir chercher son adversaire en rase campagne et à tout risquer dans une partie décisive. La défaite qui suivit fut complète. Resté seul sur le champ de bataille, obligé de fuir et de se cacher dans des réduits obscurs, Charles-Edouard commença ce jour-là cette odyssée aventureuse que le roman et le drame se sont plu tant de fois à célébrer. Plus heureux, ou plus avisé, l’agent français, le marquis d’Éguilles, en se réfugiant à temps dans une place forte avec sa petite troupe, eut l’art d’obtenir une capitulation et de se faire traiter en prisonnier de guerre. Rien n’égala, on le conçoit, la joie ou plutôt l’ivresse que causa à Londres ce succès inespéré ; mais à La Haye le contentement ne fut guère moindre. Sûre maintenant d’être secourue à bref délai par les troupes qui venaient de vaincre à Culloden, la république prenait sa part du triomphe sans avoir été mêlée au combat. Elle n’était plus l’humble suppliante réduite à demander grâce, mais bien un intermédiaire utile à ménager pour traiter, avec une puissance victorieuse, des conditions de la paix générale. C’était le rôle que son plénipotentiaire avait tenu à jouer dès le premier jour, que d’Argenson avait eu le tort de lui laisser prendre quand il était en mesure de le lui disputer, et que ce retour de fortune lui rendait sans contestation.

Bien que gravement atteint dans son crédit et très mortifié dans son amour-propre par la suite des échecs qui amenait un tel revirement, d’Argenson laisse clairement apercevoir, dans ses mémoires, qu’il n’en regretta pas autant la conséquence. N’importe à quel prix, ses maximes de droit public prévalaient, et la négociation se trouvait replacée sur les bases qu’il avait tenu à lui assigner. Il n’y avait pas jusqu’à la déroute de l’héritier des Stuarts qui ne lui parut présenter quelque avantage, on terminant une question dynastique qui engageait la France dans une