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mécomptes. Ce gage, nos conquêtes de Flandre offertes libéralement en sacrifice et en échange pour l’établissement de l’infant en Italie pouvaient seules le fournir[1].

Dès lors le terrain de la négociation engagée à Versailles, avec l’envoyé hollandais, devait nécessairement changer. D’une part, il n’était guère plus possible d’agiter le fantôme d’une agression victorieuse prête à faire apparaître, du jour au lendemain, malgré les rigueurs de l’hiver, Maurice en armes, devant Amsterdam ou La Haye. On connaissait nos embarras en Italie et la nécessité d’y pourvoir par de nouveaux renforts qui (s’ils n’obligeaient pas de diminuer l’armée des Pays-Bas) empêchaient du moins de l’accroître et même d’en combler les vides, les paroles comminatoires perdaient par là une partie de leur effet. Puis du moment où les provinces soumises ne devaient pas servir d’extension au territoire français, mais seulement d’éléments de négociation pour obtenir de nouveaux arrangemens politiques, à quoi bon pousser plus loin la conquête ? Le fait seul qu’une partie considérable de la Flandre autrichienne était déjà occupée par les armes françaises suffisait pour peser sur les décisions de la cour de Vienne et lui arracher des concessions en Italie. Il n’était plus nécessaire d’aller pousser dans ses retranchemens et blesser au cœur une république autrefois amie, avec qui on n’était pas officiellement en guerre, qui jouissait d’un grand crédit en Europe par sa puissance financière et dont les gémissemens répétés par tous les échos de sa presse auraient réveillé les souvenirs toujours fâcheux de l’ambition de Louis XIV. Le système de désintéressement, déjà si chaleureusement plaidé par d’Argenson au nom de l’honneur de la France, pouvait désormais, par l’effet d’un malheur imprévu être soutenu par des argumens moins chevaleresques et plus conformes aux conseils de la prudence et de la politique. Et comment Noailles lui-même, qui s’en était fait si résolument l’adversaire, aurait-il mis tant d’ardeur à le combattre, quand, pour se faire admettre et écouter à Madrid, il avait besoin d’arriver, de son côté, les mains pleines d’offres généreuses ?

Un événement d’une gravité plus grande encore ne tarda pas à venir aussi améliorer la situation si difficile, à la première heure, à laquelle avait dû faire face seul, au milieu d’une cour ennemie, le spirituel comte de Wassenaer. La rébellion écossaise qui paralysait toutes les forces de l’Angleterre se trouva tout d’un coup supprimée et comme étouffée par la victoire que le duc de Cumberland remporta à Culloden sur Charles-Edouard. Bien que déjà,

  1. Chambrier à Frédéric, 22 avril, 1746. — (Ministère des affaires étrangères.)