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rapports avec les généraux, espagnols devenant de jour en jour plus aigres, il ne se souciait nullement de reprendre en leur compagnie une nouvelle campagne dans les conditions de l’année précédente. L’annonce de l’arrivée de son fils, porteur d’une convention d’armistice, et chargé de pleins pouvoirs, le comblait de joie. Il se préparait à en faire, à son armée, par un ordre du jour public, la joyeuse surprise ; et, en attendant, il n’en gardait plus le secret à son entourage. Le déplaisir que paraissaient en éprouver ses maussades alliés ne faisait qu’accroître la satisfaction qu’il allait avoir à tendre amicalement la main à ses ennemis de la veille. Sa sécurité était telle qu’au moment oui tout était prêt déjà pour le surprendre, il en était encore à demander à Paris des instructions pour savoir à qui, de l’infant ou du roi de Sardaigne, il convenait de céder, en cas d’expédition commune, le pas et le commandement. Aussi quand, dans les premiers jours de mars, le comte de Montal, qui commandait à Asti, lui fit savoir que ses éclaireurs lui signalaient des mouvemens suspects du côté de Turin, des passages de troupes et d’artillerie dont l’aspect était menaçant, le maréchal se refusa absolument à prendre l’alarme ; et, au lieu de se porter tout de suite, comme il l’aurait fait en toute autre occasion, à l’aide de son lieutenant, il haussa les épaules et parut se moquer du message et du messager. On se trompait, dit-il, ou on le trompait, et ces menaces apparentes n’avaient pour but que de donner le change aux soupçons, déjà éveillés, des Autrichiens. Montal ayant insisté, cependant, il se borna à lui ordonner de prendre quelques précautions insignifiantes. Telles quelles étaient, cependant, ces recommandations n’arrivèrent pas à leur adresse : le courrier qui les portait trouva les Piémontais : déjà sous les murs d’Asti, bombardant les faubourgs, creusant des tranchées et prêts à ouvrir la brèche[1].

  1. Voir toute la correspondance échangée entre Montal et Maillebois dans l’ouvrage publié par le marquis de Peray, sur les campagnes du maréchal de Maillebois en Italie, vol. III, p. 513, 520 ; mais cet ouvrage doit être consulté avec réserve, parce que l’auteur écrivant sous les yeux, et à la demande de la famille du maréchal, fait plutôt un panégyrique, et un plaidoyer qu’une histoire. Montal, écrivant après l’événement, à Paris, pour se justifier ; dit en propres termes que le maréchal lui avait fait dire qu’il était sûr de notre paix, « signée avec le roi de Sardaigne et que je ne devais avoir aucune : inquiétude sur la marche des ennemis. » — « Il parait, par les ordres que M. le maréchal, m’a donnés, qu’il était dans la bonne foi. » — Montal au comte d’Argenson, 24 mars 1746. — (Ministère de la guerre.) La lettre porte en marge cette note de la main du ministre : J’ai rendu compte au roi, rien à répondre. —(Voir aussi un Appendice au VIIe volume du Journal de Luynes, p. 36, une lettre sans signature, évidemment écrite par un officier de l’armée de Maillebois. Il y est dit que la nouvelle du traité signé avec la cour de Paris était publique dans l’armée, qui n’attendait que le moment de la publication d’un armistice… Puis à propos de l’attaque d’Asti : « La marche des ennemis n’avait rien dissimulé : elle se faisait tambour battant ; on l’annonçait de toutes parts à M. le maréchal. Mais par je ne sais quelle fatalité, ou séduit par les apparences d’une paix prochaine, il ne semblait faire aucune attention à ce récit.