Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/802

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenir en respect les petits électorats rhénans, était donc plus que jamais nécessaire.

Ces considérations étaient développées par le prince de Conti lui-même avec une verve d’éloquence naturelle dont il était doué, et appuyées par l’autorité que lui donnait l’expérience qu’il croyait avoir acquise par un an de séjour en Allemagne. « J’ai eu l’honneur, dit d’Argenson, de l’entendre discourir des soirées entières, il assurait que nous aurions incessamment une guerre d’empire sur les bras… Il savait par cœur le nombre des bataillons et des compagnies qui seraient armés dans chaque cercle, ce qu’il en manquerait, ce qu’il en désertait : il haussait les épaules à quiconque le contredisait. Il convenait bien de quelque retard dans l’armement, mais tout devait être prêt à la fin de juin : mes doutes sur ce point commençaient à lui donner matière à parler de mon incapacité. J’avoue que ce prince s’était enfariné pendant sa dernière campagne de quantité de pédanteries germaniques où la mémoire avait peine à le suivre. On le citait au conseil comme un docteur sur les affaires d’Allemagne. »

La conviction où était le prince que tout l’empire allait prendre les armes était si forte et il réussissait si bien à la faire partager que, sur la demande de Maurepas, le conseil délibéra, en comité solennel, si le parti le plus prudent ne serait pas de prendre les devans, de franchir soi-même le Rhin sans délai et de mettre le siège devant Philisbourg et Kehl, les deux premières cités impériales qu’on rencontrerait sur son chemin.

D’Argenson fit tête à cette poussée imprudente avec plus de calme et de sang-froid qu’il n’en montrait d’ordinaire. La tâche lui était rendue peut-être moins difficile parce qu’en conseillant une sage expectative, il rentrait dans l’ordre naturel de ses idées et dans la tendance générale de sa politique. Son regret (il ne se fait pas faute de le rappeler) était toujours que la France n’eût pas pris sur toutes ses frontières le même parti, persuadé, suivant sa maxime favorite, que la France ne serait jamais attaquée, si elle n’attaquait pas la première. Cet axiome, sujet en d’autres circonstances à tant de réserves et d’exceptions, se trouvait cette fois pleinement justifié par l’inertie connue du corps germanique, et son incapacité tant de fois éprouvée de se résoudre et de se mouvoir. Ce grand corps, si mal articulé, dont toutes les jointures étaient prêtes à se détraquer à la moindre secousse, cherchait toujours le repos, et on ne pouvait espérer le faire sortir de sa torpeur qu’en l’inquiétant sur sa sécurité. C’était une grande force assurément (d’Argenson ne le niait pas) pour l’impératrice que de pouvoir parler maintenant au nom de tous les souvenirs de ses aïeux ravivés et rajeunis par une élection nouvelle, mais c’était une force surtout défensive