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le bœuf. Le souvenir des souffrances de la lutte et de l’amertume humiliante de la soumission restait gravé dans la mémoire du jeune et faible électeur et de l’impératrice douairière sa mère : ni l’un ni l’autre n’osaient plus regarder un envoyé autrichien en face. L’adroit Chavigny avait senti de bonne heure son impuissance et accepté sans regret le rappel que lui infligeait d’Argenson qui ne l’aimait pas. Son successeur, un nommé Renaud, n’avait ni sa justesse de vue, ni son habileté. D’ailleurs là, comme partout en Allemagne, il y avait avant tout une affaire d’argent à régler. Les besoins de la cour de Munich étaient extrêmes et son trésor à sec ; d’Argenson essaya bien de profiter de cette détresse pour offrir de nouveau quelques subsides, mais l’enchère fut aussitôt couverte par l’Autriche, appuyée du crédit des puissances maritimes, et le résultat fut un traité par lequel la Bavière s’engageait à remplir tous ses devoirs envers l’empire, moyennant une somme de 24,000 florins, payée annuellement pendant quatre ans, et mettait de plus, au service des alliés et à la solde de la Hollande, un corps de six mille hommes. « Quelle honte ! s’écriait d’Argenson, ces souverains allemands ne se donnent plus que pour des marchands de chair humaine… Ils courent une carrière indigne de toute puissance préposée par Dieu au gouvernement des hommes. C’est un des premiers principes du droit naturel et des gens que le droit des armes est donné aux souverains pour la gloire et la sûreté des nations qu’ils gouvernent, et ils vont directement contre leurs premiers devoirs lorsqu’ils en font un trafic mercenaire qui ne peut aboutir qu’à dépeupler leur pays et à avilir leur souveraineté[1]. »

S’il n’y avait pas lieu d’être surpris de trouver peu d’accueil à Munich, à Berlin, c’était la surprise contraire. Là, la neutralité de l’empire devait être, ce semble, non seulement une affaire d’intérêt, mais une question d’honneur. On s’imagine difficilement quelle eût été la situation du vainqueur de Mollwitz et de Kesselsdorf venant, sur un décret de la diète, prendre les ordres de François de Lorraine, et placer sous le commandement du beau-frère de Marie-Thérèse, avec le contingent de Brandebourg, l’élite de ses troupes et sa garde personnelle. Un tel respect pour le lien fédéral eût étonné de la part de celui qui avait foule aux pieds tant d’autres droits plus sacrés. On se représente plus malaisément encore la figure qu’aurait faite le prince de Lorraine lui-même en face de ces rudes soldats qui l’avaient vu fuir tant de fois. C’eût été un éclat de rire d’un bout de l’Europe à l’autre, nul doute par conséquent que Frédéric, au fond de l’âme, ne fût décidé à éviter

  1. D’Argenson à Renaud, ministre de France en Bavière, 14 mars 1746. (Correspondance de Bavière, mars, juin, passim, 1746. — Ministère des affaires étrangères.)