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une extrémité dont le ridicule eût été le moindre inconvénient ; nul doute qu’il n’employât tout son crédit pour appuyer les retards, les difficultés opposées au vœu de Marie-Thérèse et qu’au moment critique son veto n’eût été catégorique. Mais une attitude nette, qui aurait empêché la question même de naître, une parole décisive, prononcée d’avance et très haut, de manière à se faire suivre de tous les faibles, en intimidant les uns et en encourageant les autres, j’ai déjà dit que d’Argenson, tout de suite après la paix de Dresde, avait essayé sans fruit de l’obtenir. Ses instances répétées avec plus de vivacité encore à la veille de la reprise des hostilités ne furent pas plus heureuses.

Cette réserve persistante, et de jour en jour plus marquée, causait la désolation du ministre français. Et, effectivement, si elle n’était pas absolument inexplicable, elle donnait beaucoup à réfléchir. Le contraste était singulier entre les conseils que cet allié de la veille, qui se disait encore ami, faisait donner à la France et ceux qu’il suivait pour lui-même. S’agissait-il de se prononcer sur la conduite de nos agens politiques ou militaires ? Soit directement, soit sous le voile d’un anonyme facilement découvert, il s’exprimait dans le sens de l’activité la plus énergique. Les prétentions de la France étaient toujours, à son gré, trop modestes et la guerre trop mollement poursuivie par ses généraux. Mais dès qu’il était question de nous venir en aide, même par une parole qui nous aurait secondés sans trop le compromettre, à l’instant il s’esquivait, et il n’y avait plus moyen de rien obtenir. D’Argenson raconte lui-même la variété et l’impuissance des efforts qu’il fit pour lui arracher tantôt une déclaration positive, qui aurait assuré la neutralité de l’Allemagne, tantôt une adhésion ostensible à un plan de pacification commune, et il avoue que pour l’y déterminer, il ne répugnait pas à lui faire les plus douloureuses confidences… « Je le prêchais, dit-il… J’envoyais à Valori plusieurs instructions pour cela et à Chambrier, un homme que j’avais à Paris pour semblables propositions, et qui lui lisait des mémoires où il appuyait pathétiquement pour lui montrer qu’il ne serait jamais tranquille dans ses possessions de Silésie et même dans ses anciens états, tant que la paix générale ne serait pas conclue… qu’à la longue notre position deviendrait mauvaise et le devenait chaque Jour : Je ne dissimulais pas des faits humilians pour nous et glorieux pour lui, que la paix de Breslau avait fait pencher la balance contre nous, et que depuis la paix de Dresde tout allait de mal en pis. Je lui confiais notre négociation de la paix avec les Hollandais : j’insistais pour qu’il la publiât ; je l’assurais qu’avec cela il n’avait rien à craindre et qu’il se ferait un honneur éternel. » Si le mode pathétique était celui des mémoires écrits que d’Argenson faisait remettre à l’envoyé prussien, en