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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/847

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principaux[1]. Le moins incomplet est celui que reproduit la peinture de M. Gilliéron. L’artiste a représenté un être monstrueux, où l’on s’accorde à reconnaître Typhon, le génie de l’ouragan, l’adversaire de Zeus, qu’Hésiode décrit comme un « dieu terrible, aux bras indomptables, aux pieds infatigables. » Trois torses à tête humaine, terminés par des queues de serpent, occupent la partie la plus large du fronton ; de grandes ailes étendues remplissent le fond, et les anneaux bleus et rouges des queues de reptiles s’enlaçant, s’enroulant autour des torses, se déploient ensuite et s’allongent dans la partie la plus resserrée du tympan. Pour des yeux habitués aux raffinemens de l’art grec à l’époque classique, ce groupe donne l’impression d’une étrange barbarie. Les têtes surtout sont bien faites pour dérouter toutes les idées reçues. Une de ces têtes, que l’on a rajustée sur l’un des torses de Typhon, offre tous les caractères de l’archaïsme le moins avancé : de gros yeux saillans, très ouverts, cernés par des paupières à angles vifs, avec des prunelles en relief où l’iris est incisé ; des lèvres aux contours très nets, relevées aux coins par un sourire ; une barbe en pointe, légèrement ramenée sous le menton et rasée sur les joues, qu’elle encadre en formant une légère saillie, comme une pièce de métal rapportée. Ajoutez une moustache découpée en relief avec le même soin, une chevelure aux frisures régulières : vous aurez les traits les plus frappans de cette œuvre naïve et rude, qui, malgré toute sa gaucherie, contient déjà les élémens essentiels d’un type cher aux sculpteurs attiques.

Le triple corps de Typhon occupait la partie droite d’un fronton. Faut-il le rapprocher d’un second groupe, représentant le combat d’Héraclès contre Triton, et qui remplissait à coup sûr l’aile gauche d’un fronton semblable ? M. Lechat, qui a étudié avec soin ces groupes restitués, incline à le croire. « Il serait extraordinaire, écrit-il, si ces groupes proviennent de deux frontons différens, qu’on eût retrouvé complète la moitié de chacun des frontons, et pas un fragment de l’autre moitié ; l’on est tenté, naturellement, de les réunir. » Un examen plus minutieux nous apprendra si nous possédons un ensemble complet de cette sculpture monumentale en tuf. Quoi qu’il en soit, le groupe de Triton et d’Héraclès est bien du même style que le Typhon, et rappelle en outre de très près le sujet analogue traité sur un des morceaux de la frise du temple d’Assos, conservée au musée du Louvre. Comme dans la

  1. J’emprunte ces détails à un récent article de M. Lechat (Bulletin de correspondance hellénique, 1889, p. 130). Voir en outre un article de M. Alfred Brückner dans les Mittheilungen des arch. Instituts, Athenische Abtheilung, 1889, p. 67-87, et Journal of hellenic Studies, 1889, p. 261, fig. A.