Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/852

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous vous sentirez transporté dans un monde qui n’est ni l’Orient, ni la Grèce de la période classique. Les costumes sont d’une grande richesse. Les femmes portent des vêtemens brodés, rehaussés de couleurs vives, qui ne rappellent en rien les étoffes unies dont s’habillent les contemporaines de Périclès ou d’Alexandre. Les hommes revêtent aux jours de fête le chiton ample et traînant des Ioniens, frisent soigneusement leur barbe et maintiennent avec des cigales d’or leur chevelure nattée ; c’est la forme de coiffure que les écrivains attiques appellent le crobyle et qu’avaient conservée, au temps de Thucydide, les vieillards restés fidèles aux anciennes modes. À ces apparences extérieures correspondent des mœurs, des idées, des sentimens qui font que l’Athénien du vie siècle ressemble fort peu à celui du ve. La vie sociale est encore profondément aristocratique ; la foi religieuse est intense ; l’élégance des mœurs n’exclut pas la violence des passions ; on trouve dans la vie de Pisistrate et de ses fils plus d’un trait qui peut nous faire songer aux Florentins du xvie siècle. Mais nous n’avons pas le loisir de nous attarder à cette analyse, ni d’esquisser, même sommairement, le tableau de la vie athénienne au temps des Pisistratides ; nous devons nous borner à retracer, d’après les découvertes récentes, l’histoire sommaire de l’art attique avant les guerres médiques.

Les travaux inaugurés par Pisistrate eurent pour premier résultat d’attirer à Athènes des artistes grecs d’origines très diverses. Si l’on consulte la série des signatures d’artistes gravées sur marbre et recueillies à Athènes[1], on y relève bien des noms étrangers : un Sicyonien, Aristoclès ; un Grec de Paros, Aristion ; un Chiote, Archermos ; un artiste du nom de Théodoros, qui paraît être un Samien ; enfin un des sculpteurs les plus illustres de l’école d’Egine, Onatas. La présence de ces maîtres à Athènes devait exercer sur le développement de la sculpture une influence considérable. Tout d’abord, ils allaient initier les artistes indigènes à la pratique de procédés plus perfectionnés et leur enseigner la technique du marbre et du bronze. À n’en pas douter, ce sont les artistes des îles de l’Archipel qui ont introduit en Attique la sculpture sur marbre, et il est même à noter que les statues archaïques d’Athènes sont le plus souvent exécutées en marbre des îles. Ce n’est pas tout. Ces étrangers apportaient des habitudes de style qui étaient loin d’être uniformes ; ils appartenaient à des écoles qui avaient chacune sa manière, ses types de prédilection, ses formules pour ainsi dire. C’est le mérite de l’érudition moderne d’avoir

  1. M. E. Loewy a publié le recueil complet des inscriptions grecques mentionnant des noms d’artistes : Inschriften griechischer Bildhauer. Leipzig, 1885.