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similitude soit des études, soit des origines, soit des conditions sociales, soit des sentimens religieux, soit des opinions politiques : c’est, dans chaque centre, un groupe unique, ouvert à tous. Ce ne sont pas, comme en Allemagne, des corps ayant chacun son symbole et sa formule ; c’est, dans chaque ville, un seul corps, ayant pour symbole unique et pour formule souveraine, la science et la patrie. Ce ne sont pas des nations, comme autrefois dans la vieille Université de Paris ; c’est, dans l’école, la nation elle-même, une et multiple tout ensemble. Rien qui répondît mieux aux besoins de notre société que cette constitution qu’ont prise spontanément les associations d’étudians. Ceux qui les créèrent comprirent ou sentirent que dans ce pays, ce qu’il faut, ce ne sont pas des séparations nouvelles, mais des unions nouvelles. La jeunesse en particulier, surtout depuis la loi de 1850, n’était que trop divisée ; elle allait comme deux cours d’eau qui à aucun instant ne mêlent leurs eaux. Les associations d’étudians ont été pour elle un confluent. Il n’est pas possible que les jeunes hommes qui s’y réunissent, qui y vivent ensemble, l’âme et le cœur à découvert comme on est à vingt ans, ne finissent pas par comprendre tout ce qu’il y a de mort et d’usé dans les formules qui divisèrent leurs pères, et qui les diviseraient encore eux-mêmes, et qu’au-dessus de l’égoïsme des partis, des écoles et des églises, il est d’autres formulés assez larges, assez compréhensives pour unir tous les esprits et toutes les volontés dans un commun amour de la vérité et de la patrie.

Ne l’ont-ils pas déjà compris ? Voici ce qu’en les présentant l’autre soir à un hôte illustre, Emilio Castelar, disait d’eux M. Lavisse : « S’ils sont divisés sur quelques sujets, ils sont unis en des points essentiels. Ils aiment la liberté résolument, sans théorie, comme un état naturel et nécessaire. Si les passions politiques semblent s’éteindre en eux, c’est, je crois, parce qu’ils sont arrivés, en politique, à la période de la raison, mais d’une raison très ferme et qui sait se fâcher quand il faut, elle se fâche même très vite. A la première apparence du danger qu’a couru la liberté, ils se sont émus… Ce fut la première démonstration publique que leur scepticisme n’est pas un état d’indifférence.

« Plus vif et plus intense encore est chez eux le sentiment national. La France est aimée par eux comme elle doit être aimée, à la fois d’instinct et par réflexion. Ils ont le patriotisme des braves gens, celui qui ne raisonne ni ne transige. Ils en ont un autre que j’appellerai philosophique. Ils aiment la France parce qu’elle est libre, parce qu’elle est généreuse, parce qu’elle fait effort vers la justice, la justice au dedans, la justice au dehors, c’est-à-dire en définitive la paix sociale et la paix des peuples ; mais je dois vous