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CHRISTOPHE MARLOWE

I. J.-A. Symonds, Shakspere’s predecessors in the English drama, 1 vol. in-8o. Londres, 1884. — II. A.-H. Bullen, The works of Christopher Marlowe, 3 vol. in-8o. Londres, 1885. — III. Christophe Marlowe, Théâtre, traduction de Félix Rabbe, avec une préface de Jean Richepin, 2e édition, 2 vol. in-12. Paris, 1889.

La traduction que M. Rabbe nous donne de Marlowe vient à point. Jamais, en effet, Shakspeare n’a été plus à la mode, et c’est à peine un paradoxe de dire qu’il n’y a peut-être rien de plus shakspearien que Shakspeare, si ce n’est Marlowe. Ce bruyant précurseur est un Shakspeare « première manière, » plus bouillant, plus exubérant, plus intempérant de verve et d’éclat ; c’est le Pérugin de ce Raphaël, ou, plus justement, l’Alexandre Hardy de ce Corneille. Ses qualités sont de celles qui flattent notre palais un peu blasé. Ses défauts sont de ceux que nous ne haïssons pas. Il appartient à un siècle dont le nom seul a le privilège de nous enchanter. Serait-ce qu’il y a entre la Renaissance et ce XIXe siècle finissant autant d’analogies que le dit M. Richepin dans la préface qu’il a mise à cette traduction, que « l’ivresse » ait, de part et d’autre, « la même intensité, les mêmes zigzags exubérans, le même débraillé d’allure » ou encore le même « monstrueux cynisme ? » La Renaissance, surtout anglaise, n’a pas été seulement une orgie des sens ou un vertige de la pensée : elle a même été, si on la considère dans l’ensemble, tout le contraire. Quant à l’époque où nous avons la bonne ou la mauvaise fortune de vivre, le lecteur jugera s’il convient de repousser « l’excès d’honneur » que veut lui faire M. Richepin, ou de l’accepter avec reconnaissance.