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anti-chrétiennes, — je mettrai le feu à tes monumens décrépits ; je forcerai — les tours papales à baiser la terre ; — de tes prêtres égorgés je ferai se gonfler le cours du Tibre, — et leurs tombeaux élèveront ses rives !


On devine quels trépignemens de joie devaient accueillir des déclarations de ce genre dans cette multitude pour qui la haine des jésuites était le premier des articles de foi, et qui croyait naïvement reconnaître en Machiavel le sombre et mystérieux génie présidant aux destinées de l’Église. Toute une pièce, médiocre d’ailleurs, le Massacre de Paris, a été consacrée par Marlowe à la Saint-Barthélémy : l’opinion protestante sur les principaux acteurs de ce drame, sur Charles IX, sur le duc de Guise, sur Catherine de Médicis, s’y reflète fidèlement. Qu’on se souvienne enfin, dans le Juif de Malte, de cette amère satire des deux moines se disputant l’honneur de sauver une âme et finissant, comme les maîtres de M. Jourdain, par se battre pour la plus grande gloire de leurs ordres respectifs.

C’est une question de savoir si, dans cette même pièce, Marlowe n’a pas été, comme Shakspeare depuis dans le Marchand de Venise, secrètement sympathique à la race juive : certains indices ont pu le faire croire. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le public, très certainement, ne l’entendait pas ainsi ; ce qu’il sifflait en Barabas, ce n’était pas seulement sa cruauté ou son avarice, c’était bien sa nationalité. En 1593, trois ou quatre ans après le drame de Marlowe, un médecin juif de la reine, nommé Lopez, qu’Essex accusa d’avoir voulu empoisonner Elisabeth, fut exécuté, à la grande joie de la populace.

L’idée presque superstitieuse, aussi, que Marlowe se fait de la royauté, le respect tout religieux que ses personnages professent pour la monarchie, d’où viennent-ils, si ce n’est de cette foule qui incarnait la patrie dans le souverain et qui considérait le régicide comme un fait monstrueux et contre nature ? Si Elisabeth hésita si longtemps à faire exécuter Marie Stuart, c’est qu’elle respectait en elle, avec une secrète terreur, le caractère royal. « Etre roi, dit Tamerlan, c’est être à moitié dieu. » Les Tudors avaient fait de cette idée le grand mobile de leur politique. De même Edouard II, forcé d’abdiquer, demande au temps de s’arrêter, afin que l’univers ne voie pas cette honte d’un, roi se découronnant. Tout cela tient de près au respect de cette multitude pour le passé du pays, à son culte pour la mémoire des rois, au souvenir toujours présent, — et non atténué ou effacé, comme chez nous, par des guerres de religion, — des siècles précédens, à cette force morale, enfin, qui ne demandait qu’à devenir, le génie aidant, une source d’émotions