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dramatiques. Elle le devint. On a calculé qu’en mettant bout à bout tous les drames historiques de cet âge dont nous avons le texte ou les titres, on aurait une histoire complète de l’Angleterre de 1199 à 1588. Daniel, Drayton, Warner, en de grands poèmes patriotiques, vont glorifier soit le passé, soit le présent de leur pays. La description que Drayton donna de l’Angleterre, en trente livres, dans son Polyolbion, n’a guère moins de cent mille vers : erreur poétique, si l’on veut ; mais, à coup sûr, touchant exemple de l’amour du poète pour son sujet. Marlowe est plein de ce sentiment national qui inspirait Surrey, Sidney et Cavendish, et dont nous avons une preuve éclatante dans Edouard II.

Il est plein, enfin, de cet autre sentiment, singulièrement envahissant, qui enflait alors les âmes et que M. Taine a si magnifiquement décrit, le besoin d’apprendre, de reculer les frontières de la science dans le présent ou dans le passé : le goût du nouveau, et, comme nous dirions, de « l’exotique, » d’une part ; le goût de l’antiquité, nouvellement révélée, de l’autre : même curiosité au fond, plus populaire d’une part dans la forme, plus savante de l’autre, mais toujours une dans son principe, qui est le désir d’étendre le domaine de l’intelligence et le royaume des esprits. Une révolution analogue à celle que fit, en 1543, le livre de Copernic dans le monde savant, s’opérait, à la lecture ou au récit des voyages merveilleux de Frobisher, de Drake ou de Hawkins, dans le peuple anglais, que ces hommes révélaient à lui-même. Tous rêvaient, comme Sidney, de l’El Dorado ; tous s’enthousiasmaient pour les exploits des hardis flibustiers, ancêtres des colons du XIXe siècle. La littérature du temps est pleine de leurs exploits : un seul d’entre eux, le fameux Thomas Stukeley, a défrayé des vingtaines de drames. C’en est fait des barrières que le moyen âge mettait au monde : l’univers est devenu plus mystérieux en devenant plus vaste. De là, dans Marlowe, ces allusions aux pays lointains ou merveilleux ; de là cette érudition géographique dont il abuse ; de là ces listes de noms nouveaux ou étranges qui lui caressent délicieusement l’oreille, comme plus tard elles flatteront celle de Milton ou de Victor Hugo.

Allons, relevez-vous, duchesse de Segorbe,
Comtesse Albatera, marquise de Monroy !


« Nous te couronnons ici, dit un personnage de Tamerlan, monarque de l’Orient, empereur d’Asie et de Perse, grand seigneur de Médie et d’Arménie, duc d’Afrique, d’Albanie, de Mésopotamie et de Parthie. » Les lecteurs résolus qui ont été jusqu’au bout du